Pour ceux qui
s’intéressent au rôle qu’eurent les femmes dans la première
guerre mondiale, il faut bien distinguer les espaces culturels. Les
régions envahies durablement appartiennent à deux ensembles celui
majoritairement de culture slave orthodoxe et celui de culture
catholique. Dans le premier ensemble, on relève un groupe composé
de la Roumanie, de la Serbie et du Monténégro (évidemment dans leurs
frontières d’avant août 1914) où la religion des popes est
quasiment sans conteste et un pays la Russie qui voit occupé des
régions lui appartenant fortement hétéroclites du point de vue
religieux avec les trois composantes d’alors du christianisme. On y
trouve des Russes orthodoxes, des Polonais et des Lituaniens catholiques
et des Baltes protestants. Dans l’univers orthodoxe on trouve, de
façon pas si exceptionnelle que cela, des femmes portant l’uniforme
et combattant.
Les Anglaises, qui
portent l’uniforme en nombre restreint et ne combattent pas, ne
connaissent pas une partie de leur pays envahi. Nous allons voir à
travers quelques communications de colloque et des ouvrages (plus ou
moins récents) ce qu’on a pu écrire dans les vingt dernières
années sur les femmes belges et françaises dans la Grande Guerre,
ayant une action directe ou indirecte dans la machine de guerre. Nos
références ne sont pas exhaustives, nous avons retenu des
monographies et des actes de colloque sortis depuis moins de vingt
ans. L’objectif est de fournir des pistes à ceux qui voudraient
avoir une bibliographie de base d’ouvrages facilement disponibles à
l’état neuf, d’occasion ou assez présents dans des
bibliothèques. Nous allons suivre l’ordre chronologique de leur
parution.
Le titre dont nous allons
parler en premier est le résultat de l’ensemble des articles parus
durant l’été 1994 dans le journal Le Monde, ces articles
paraissent deux ans après l’ouverture de l’Historial de Péronne
(qui coédite le livre) et ces années 1990 sont marquées
incontestablement par un intérêt du grand public pour la première
guerre mondiale, le succès de certaines BD de Tardi en étant un des
reflets. Dans 14-18 la très grande guerre il y a un article
sur l’infirmière anglaise Édith Cavell qui a réussi à faire
passer des soldats alliés (qui se cachaient en Belgique) au Pays-Bas
et l’impact qu’eut sur l’opinion américaine son exécution.
Édith Cavell vivait à Bruxelles depuis 1907, elle y avait séjourné
déjà de 1890 à 1895 ; elle est donc une femme vivant en
Belgique avant la déclaration de la guerre.
Le second texte dans
l’ordre de lecture nous évoque les nuances dans la propagande que
l’on peut trouver dans la lecture de Bécassine par rapport
à d’autres héros d’histoires en images pour les enfants. On
notera en particulier le fait qu’accompagnant un major anglais dans
une mission de photographie aérienne, elle essuie les tirs des
Allemands. Sur l’ensemble des quatre albums en rapport avec la
Grande Guerre, on peut rajouterons-nous se faire une bonne idée des
nouveaux métiers auxquels les femmes accèdent durant le conflit. Le
troisième texte évoque la grève des midinettes au printemps 1917,
à cette occasion certaines demandent la paix.
En 2003 Christine Bard
livre Les filles de Marainne : histoire des féminismes
1914-1940 et si un chapitre montre les femmes pleinement
engagées dans l’Union sacrée, un autre intitulé "Dissidences
pacifistes et contestations radicales" permet de croiser en
particulier des institutrices syndicalistes dont Hélène Brion
institutrice à Pantin et la savoyarde Lucie Colliard dont l’avocat
est le député Paul Meunier (bientôt accusé d’avoir négocié
secrètement avec les Allemands). Cette même année 2003 est publié
un ouvrage collectif Hommes et femmes dans la France en guerre
(1914-1945). Un article signale à la page 69 que environ trois
cent femmes françaises portèrent l’uniforme en tant que
conductrice d’engins à moteur et à la page 71 qu’Émilienne
Moreau de Loos avait combattu les Allemands les armes à la main (Le
Petit Parisien et Le Miroir publient ses mémoires entre
décembre 1915 et janvier 1916).
L’année suivante
paraît 1914-1918 : combats de femmes, un ouvrage dirigé
par Évelyne Morin-Rotureau qui traite des deux sujets précédents
mais avec souvent des approches par d’autres personnalités comme
ici Louise Bodin. De plus Annette Becker évoque "le sort des
femmes pendant l’occupation allemande du nord de la France".
En 2006 dans Paroles de paix en temps de guerre on relève une
communication commise par Mona Siegel "Paroles féministes et
pacifistes au temps de la Grande Guerre". Au passage elle
rappelle qu’en France où la revendication des femmes de pouvoir
voter existe à la Belle Époque, il leur est répondu que la
citoyenneté pleine est à donner à ceux qui peuvent défendre leur
pays. Le refus de voir une femme avec un fusil n’est donc pas
seulement le fruit d’une culture catholique, il est aussi la
réponse négative à une autre demande qui pointe. L’auteur montre
que toutes les féministes n’évoluent pas vers le pacifisme et que
celles qui le font avancent à des rythmes fortement différents ;
d’ailleurs la plus médiatisée de l’époque Hélène Brion n’a
pas été la plus véloce. Nous dirons personnellement que par la
tenue de son procès et des réponses qu’elle y fit, elle inscrit
son nom dans une page d’histoire du pacifisme et que cela lui valu
une large place dans la BD Un long destin de sang (2 tomes
sortis respectivement en 2010 et 2011). Mona Siegel ajoute que, dans
l’Entre-deux-guerres, la puissance d’un mouvement comme la Ligue
internationale des mères et éducatrices pour la paix est la
résultante du combat des féministes pacifistes des deux dernières
années de guerre.
En 2008 Jean-Marc Binot
propose Héroïnes de la Grande Guerre, cet ouvrage permet de
mettre en exergue un certain nombre de personnalités. Ainsi alors
qu’elles n’ont pas le droit de vote, Jeanne Macherez (veuve d’un
député puis sénateur) non seulement dirige l’infirmerie de la
ville de Soissons mais fait office de maire pour négocier avec les
Allemands le temps qu’ils occupent la ville (du premier au douze
septembre 1914). Elle y gagne le surnom de "la mairesse de
Soissons", on en apprend largement plus sur Émilienne Moreau
dans son aide aux Anglais reprenant la ville de Loos le 25 septembre
1915. Ce sont quatorze femmes belges ou françaises qui se côtoient
souvent dans des missions de renseignements, de la plus prude à la
plus courtisane puisque Marthe Richer (devenue Richard) y a sa place
d’espionne avérée mais dont on doute de la réelle efficacité.
Une mention spéciale est à porter pour le récit qui raconte dans
le détail comment la paysanne normande Octavie Delacour ayant
rencontré, dans le bois près de Gournay-en-Bray des soldats
allemands infiltrés, va éviter (en prévenant les gendarmes locaux)
que les premiers ne fassent sauter des ponts sur la Seine autour de
Rouen.
Les Femmes et la
guerre de l’Antiquité à 1918 est un ouvrage qui reprend les
communications données lors d’un colloque éponyme tenu à
l’université d’Amiens en 2010. Les articles sont classés là
par ordre chronologique. Ceci est l’occasion de revenir sur les
Amazones, Jeanne d’Arc (et en particulier sur ce dont on l’accuse),
les actes de résistance des femmes cathares, les engagements
partisans de certaines épouses de chefs de parti au moment des
guerres de religion (dont la duchesse de Montpensier et la princesse
de Clèves). À diverses dates sont évoquées les rôles tenus par
des femmes comme espionne, vivandière, infirmière …
Six textes, soit un tiers
de l’ensemble des communications, traitent de la période de la
première guerre mondiale. Philippe Nivet aborde la place des femmes
dans les zones occupées de la France ; ces départements sont
de l’ordre de la dizaine de la Mer du Nord aux Vosges. Ceci est
l’occasion de rappeler les émeutes de la faim et le rôle qui
tinrent les femmes. En janvier 1917 par exemple dégénère la
distribution de pommes de terre assez abimées à la population (page
277). Le passage sur les réseaux de résistance permettent de voir
leur fonction dans le renseignement et la place tenue dans l’un
d’entre eux par Louise de Bettignies et dans un autre cas quelles
furent les actions d’Édith Cavell conjointement avec Louise
Thuliez. Sont également évoquées les maîtresses françaises du
Kronprinz lors de ses séjours dans les Ardennes et plus généralement
les relations des femmes des régions occupées avec des soldats
allemands. Ces liaisons soulèvent parfois des procès après-guerre ;
ces actions devant la justice inspirent d’ailleurs des romanciers
dans les Années folles. Ainsi Gabrielle Verlon, inquiétée pour
intelligence avec l’ennemi dans l’Aisne, voit reprises ses
actions au sein du réseau Toquet dans le livre La Gazette des
Ardennes de Gustave le Rouge et Louis Chassereau paru chez
Tallandier. Il y a ici une belle remise en perspective de la valeur
morale de l’espionnage féminin aux yeux de certains Français
contemporains de la Grande Guerre et de l’Entre-deux-guerres, ce
qui est l’occasion de revenir sur Marthe Richard. Ceci est à
mettre en parallèle avec le fait rapporté dans l’ouvrage consacré
à Louise de Bettignies par Chantal Antier, que les milieux
nationalistes tenaient à préciser durant les Années trente que
dans le réseau de celle-ci, on ne couchait pas.
Nadine–Josette Chaline
s’interroge sur le rôle des religieuses dans la Grande Guerre et
les déplacements des communautés vers l’intérieur du pays. On
apprend que dans l’Allier trouvent refuge des carmélites
françaises exilées depuis 1905 dans la province belge du
Luxembourg, des carmélites de Meaux et des religieuses venues de
Verdun. L’auteur rappelle l’importance des images pieuses qui
circulent chez les poilus et en particulier celles concernant Sainte
Thérèse de Lisieux. Deux autres textes tentent de montrer que
l’absence du père pendant quatre ans s’est traduite par de
nombreux conflits familiaux au retour, tant du point de vue d’une
présence du père perçue par l’enfant comme accaparant la mère
et le privant de l’affection maternelle que par la difficulté
qu’ont à revivre ensemble mari et femme. Ce n’est pas cité ici
mais Charles Trénet fut placé en pension très tôt car son père,
à peine rentré au printemps 1919, s’avéra comme sa mère
incapable de reprendre une vie conjugale harmonieuse. Comme nous
l’avons écrit, il est sorti en 2013 chez Tallandier un livre qui
retrace la vie de Louise de Bettignies. L’ouvrage retrace de façon
complète la courte mais intense vie de cette Jeanne d’Arc au
service des Anglais. Outre de nous faire savoir que celle-ci avait
étudié en Angleterre, avait vécu en pays catholiques dans l’Europe
centrale à la Belle Époque (Vienne, Bohême, Galicie et Bavière),
l’ouvrage montre que cette Française n’avait aucune confiance
dans l’efficacité du service d’espionnage de son pays et c’est
pourquoi elle se mit au service ces Anglais.
Alain CHIRON
BIBLIOGRAPHIE
Historial de Péronne,
14-18 la très grande guerre, Le Monde, 1994
Christine Bard, Les
filles de Marainne : histoire des féminismes 1914-1940,
Fayard, 2003
Luc Capdevilla (et al.),
Hommes et femmes dans la France en guerre (1914-1945), Payot,
2003.
Évelyne Morin-Motureau,
1914-1918 : combats de femmes : les femmes piliers de
l’effort de guerre, Autrement, 2004
Mona Siegel "Paroles
féministes et pacifistes au temps de la Grande Guerre" In
Paroles de paix en temps de guerre, Privat, 2006
Jean-Marc Binot, Héroïnes
de la Grande Guerre, Fayard, 2008
Marion Trévisi et
Philippe Nivet, Les Femmes et la guerre de l’Antiquité à 1918,
Economica, 2010
Chantal Antier, Louise de Bettignies, Tallandier, 2013
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