Les Dames du chemin, heureux jeu de
mot, plus chemin de traverse que simple chemin d'ailleurs, nous
transporte au coeur même de la vie des Français de la Grande
Guerre. Les femmes y accompagnent les hommes, les soldats surtout,
pour un court ou un long trajet, parfois pour un bout de chemin. Ces
femmes prennent des formes multiples, celles de l'être espéré, de
l'être sacrifié, de l'être désiré, voire de l'être honni.
Simplement, au moyen de bouts de vies
nous comprenons en quelques lignes, en quelques pages, le rôle
moral, social et sentimental qu'elles jouèrent. Ces récits sont
merveilleux, poignants, sensibles et surtout d'un réalisme
déconcertant qui rend les personnages attachants et laisseraient
penser que l'auteur a vécu à cette époque. Comme le dit
Jean-Pierre Verney (conseiller du musée de la Grande Guerre du pays
de Meaux) dans la préface, un livre "ni banal, ni rebattu"
qui dévoile "qu'au-delà des personnages embarqués dans le
tumulte et les violences de cette Grande mais épouvantable guerre,
il y avait autre chose." La vie ?
Bonjour Maryline Martin, pourquoi ce
livre ?
Aussi loin que je me
souvienne, j’ai souvent entendu racontée par ma famille l’histoire
d’Abel François Victorien Marchand mort à Verdun. Ce grand-oncle
était le frère de ma grand-mère et de sa sœur née en 1919 et qui
portait le prénom féminisé de ce frère, ce héros mort au
combat…
En plus d’un cadre et
des médailles militaires, j’ai hérité de ce devoir de mémoire
qui est une partie de moi-même. Je pense que pour savoir où l’on
va, il faut comprendre d’où l’on vient…
Grâce à Internet, j’ai
pu entamer des recherches et trouver la fiche militaire de mon
grand-oncle qui non seulement n’avait pas été tué à Verdun mais
reposait dans un cimetière militaire sous une tombe individuelle à
Cerny en Laonnois, non loin du Chemin des Dames… Abel François
Victorien Marchand est parti en avril 1915 rejoindre son régiment et
a été fauché à vingt-ans lors de l’offensive Nivelle le 16
avril 1917.
En déroulant le fil de
notre histoire familiale, je suis rentrée dans la grande Histoire et
j’ai ressenti le besoin, et sous un prisme différent (l’écriture
de nouvelles), de lui rendre hommage ainsi qu’à tous ces
camarades…
Vous abordez la place
et la vie des femmes au travers des hommes ? Pourquoi ?
En me documentant sur le
sujet, j’ai fait le constat que les femmes ont tenu un rôle
important dans la Grande Guerre. Si elles ont été en priorité les
gardiennes du foyer, elles devaient faire face à la pénurie
d’hommes et redynamiser la machine de guerre à l’arrière.
En 1914, le président du
Conseil, René Viviani, leur lance un vibrant appel en leur
demandant de remplacer sur le champ du travail les maris partis au
champ de bataille et une année plus tard, Joffre leur conjure de ne
pas s’arrêter de travailler dans les usines, car selon lui, les
alliés perdraient la guerre ! Les femmes connaissaient la
double peine : rester à leur place tout en continuant à faire
tourner le pays…
Qui sont les héros de
ce livre les femmes ou les hommes ?
Je n’aborde pas ce
recueil de nouvelles de façon linéaire. J’ai beaucoup travaillé
sur la psychologie des personnages. Je rends hommage au courage de
toutes ces femmes qui ont dû soutenir le moral des hommes parfois au
péril, elles aussi, de leur propre vie. Je pense aux femmes du Nord
de la France qui ont subi des exactions (viols, déportations), aux
infirmières frappées elles aussi à l’arrière, aux prostituées
réquisitionnées par les généraux parce qu’elles n’amollissaient
pas le cœur du soldat…Ces ouvrières, paysannes, infirmières,
espionnes ou prostituées je les accompagnées tout au long de ces
destins de papier et elles ont rencontré des tirailleurs sénégalais,
des mutins, des embusqués et des soldats prisonniers de leurs
contradictions les plus intimes…Si ces poilues de l’arrière ont
bravement tenu leur rôle, la chambre bleu horizon veillera au
lendemain de la guerre à ce qu’elles rentrent sagement à la
maison. Toutefois, le gouvernement ne peut lutter contre une certaine
liberté de conscience et certains codes sociaux vont exploser :
ce sont les Années Folles.
Nombre de ces destins
sont tragiques.
La guerre par essence
n’est pas jolie même si elle a révélé des moments de fraternité
dans les tranchées, un esprit de corps et d’âmes…Je n’ai rien
voulu édulcorer. Si les soldats étaient persuadés de revenir pour
les vendanges ou à la Noël, ils ne sont pas partis la fleur au
fusil. Le Figaro du 2 août 1914 observe : « Le bruit de la rue
n’est plus qu’un grand murmure. On se croirait à un jour de fête
populaire où tout le monde se tairait… »
La guerre a duré 52
mois, elle a bouleversé les rapports hommes-femmes, fait exploser
des vies, des couples en devenir, cette résultante n’est guère
joyeuse. Cependant, les retours de mes lecteurs-trices montrent que
la vie et l’espérance sont également présents entre ces pages…
Cerny en Laonnois, tombe d'Abel Marchand (photo Maryline Martin) |
A la lecture nous
avons l'impression que vous-avez vécu cette époque : l'argot des
poilus, le phraser tout y est.
On ne peut écrire de
façon mécanique sur ce sujet. L’empathie je l’ai ressentie très
tôt lorsqu’adolescente, je lisais un à un, sur les monuments aux
morts, les noms des Morts pour la France, tombés au Champ d’Honneur
J’imaginais l’attente et la souffrance de ces famille. La réponse
au silence, ce fameux pli bleu porté par le maire ou son adjoint
mettait un point fatal sur le i du mot fin. Avec l’attente,
l’espoir était encore tenace …Comme l’écrit Maurice Duneton
dans son roman vrai « Le Monument » : «
(…) certaines familles se sont vidées de leur
surgeons, au point qu’elles se sont éteintes dans l’aventure.
Elles ont disparu sans laisser de trace… ». Je n’ai pas
de passion pour la guerre mais j’aime l’époque qui succède à
ce que l’on nommait la Belle Epoque… On entre dans le XXème
siècle dans un déluge de feu et d’acier mais aussi qui verra les
progrès de la médecine et de la chirurgie…
Je me suis documentée
pour trouver le mot juste. On ne parlait pas en 1914 comme
aujourd’hui même si l’argot des tranchées a perduré dans notre
langage courant. Il était important que le lecteur soit dès les
premières pages happé par ces destins et que de manière didactique
il puisse être plongé dans le quotidien de l’arrière comme au
front.
Comment avez-vous
choisi ces femmes, pourquoi celles-là ?
Je n’ai pas choisi ces
femmes, elles se sont naturellement imposées lors de mon travail
d’écriture. Effectivement, lorsque l’on évoque la Grande
Guerre, reviennent en boucle les paysannes dans les champs,
l’infirmière accorte longuement décrite comme l’ange blanc mais
aussi la munitionnette qui tourne des obus dans les usines. Par
ailleurs, je me suis attachée aussi à celles dont on parle peu les
exilées, les prostituées mais aussi les agents doubles…
Dans la nouvelle
« Nénette et Rintintin », j’ai une tendresse
particulière pour cette petite fille qui, décrit dans son journal
les jeux de guerre de ses camarades de la rue Greneta pris en photo
par Léon Gimpel. Je parle aussi de cette petite Denise Cartier
victime du premier bombardement parisien. Il était important pour
moi de tisser du lien entre la Grande et la petite Histoire…
J’ai appris
dernièrement et pour mon plus grand plaisir, je l’avoue, que
cette nouvelle était étudiée en classe…
Comment vous êtes
vous documentée ? Vous citez Louis-Ferdinand Céline… Un auteur
que vous aimez ?
Dans mon travail
d’écriture, ce qui m’importe est non seulement d’aborder la
psychologie de mes personnages mais le décor dans lequel ils
évoluent est primordial. Je suis avant tout lectrice, j’imagine
que les détails sont tout aussi importants, il faut que la part
d’imaginaire prenne le relais sur le pouvoir des mots. Ainsi, j’ai
privilégié des lectures comme le Carnet de la Ménagère pour
m’approprier le quotidien de cette mère de famille, qui en vient à
piler des marrons d’Inde pour obtenir de la lessive. Les
témoignages d’Henri Barbusse, de Roland Dorgelès mais aussi de
Georges Duhamel, Paul Valéry, Léon Frapié m’ont beaucoup aidés.
Quand j’évoque les soldats victimes de l’obusite, je me suis
attachée à être au plus près de cette pathologie longuement
controversée puisque ces derniers étaient considérés comme des
simulateurs…J’ai en mémoire le très beau film de Gabriel Le
Bomin, « Les fragments d’Antonin » et l’essai de
Jean-Yves Le Naour « Les Soldats de la Honte ». Quant au
cuirassier Louis Ferdinand Destouches plus connu sous le pseudonyme
de Céline, il nous a offert avec « Voyage au bout de la nuit »
un roman fort et même s'il a longtemps écrit qu’il s’arrangeait
avec ses souvenirs en trichant avec ce qu’il faut , le fantôme
de Bardamu est omniprésent dans l’une de mes nouvelles…
Je ne suis pas
historienne mais j’ai trop de respect pour le sujet et ce livre m’a
demandé quatre années de travail. J’ai effectivement beaucoup lu
mais j’ai eu aussi la chance de pouvoir écouter des cassettes
mixées sur Cd avec des témoignages de Poilus, dont l’un très
émouvant puisqu’il émanait d’un soldat ayant appartenu au même
régiment et à la même compagnie que mon grand-oncle…
Les textes de Paul
Verlet, Eugène Bizeau mis en musique par le groupe Tichot mais aussi
les gymnopédies d’Erick Satie, et les textes engagés de Dominique
Grange ont nourri mon écriture.
Si je dis souvent que
j’ai lu jusqu’en avoir la nausée ce n’est rien par comparaison
à ce que les soldats ont pu ressentir au plus profond d’eux-mêmes.
Mais par respect pour Eux, il ne pouvait en être autrement…
Maryline Martin et Jean-Pierre Verney |
Un dernier mot ?
Merci pour votre écoute
et votre invitation à parler de ce recueil à l’approche de ces
journées de commémoration et non de célébration (j’insiste sur
le terme) du centenaire de la Grande Guerre.
Merci aussi à mes
lecteurs qui m’encouragent à poursuivre le chemin de l’écriture.
Maryline Martin, Les Dames du chemin, éditions Glyphe, 12 €
www.editions-glyphe.com
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