Après
des prés ch'est des pâtures (proverbe ch’ti)
Mon
journal sous l’Occupation
de Jeanne Lefebvre et Les Heures sombres
de Sandrine
Lecleire-Berthier
sont deux ouvrages
qui
partagent le même univers géographique pour une période historique
semblable.
Certes
le livre Mon
journal sous l’Occupation
appartient à la collection 14-18 Carnets de guerre, mais son titre
renvoie immanquablement, pour ceux qui ne connaissent pas cet aspect
de la Grande Guerre, à l’univers de la seconde guerre mondiale
alors qu’il évoque la présence durant quasiment toute la première
guerre mondiale des Allemands dans la région de Lille.
Charles
Lefebvre s’est engagé au moment de la déclaration de guerre, il
allait alors vers ses 48 ans. Il appartient à la réserve de la
territoriale. Au début de la guerre, il est dans un régiment qui
est amené à combattre. D’ailleurs, au milieu du livre, nous avons
des dessins de sa main (car il est lithographe dans le civil) où il
représente des lieux du Berry, de la Picardie et le village
frontalier de Montreux-Vieux en Alsace-Lorraine (alors côté
allemand).
Charles
Lefebvre s’est marié en 1898 avec Jeanne Choquet et ce couple a eu
trois enfants nés entre 1899 et 1903 à savoir André, Charles et
Denise. Le père de Jeanne Choquet se prénomme Gustave et il est
vétéran de la Guerre de 1870 ; il décède en 1910. L’ouvrage
démarre avec apparemment une introduction de l’historien Francis
Arnould qui situe, dans le temps et du point de vue des mentalités à
la fois, la rencontre puis le mariage de Charles Lefebvre et Jeanne
Choquet ainsi que l’enterrement de Gustave Choquet. Est reproduit
le discours du président de l’association amicale des combattants
de 1870 et 1871 de Lille et ses environs, ce dernier épinglant au
passage le Souvenir français comme une association élitiste
contrairement à la sienne.
L’ouvrage
se poursuit par les pages du journal tenu par Jeanne Choquet qui
s’ouvre le 15 janvier 1915. Cette dernière réside toujours à
Saint-André-lez-Lille qui est une commune plutôt résidentielle
limitrophe du nord de Lille, atteignant cinq mille habitants à la
fin de la Belle Époque. Faute de pouvoir communiquer avec Charles
(mobilisé) car elle est en zone occupée, Jeanne fait le point
rétrospectivement sur ce qui c’est passé d’important pour elle
depuis août 1914 (cela couvre dix pages). C’est à partir du 25
janvier 1915 que Jeanne Choquet, environ tous les dix jours, rouvre
son journal. Elle est contrainte de loger un nombre variable de
militaires allemands, le maximum semble avoir été quinze mais
pendant une courte durée. De plus, le fait qu’elle possède un
piano lui vaut la visite momentanée de certains soldats désirant
jouer de cet instrument. On suit tout ce qui fait la dureté de
l’Occupation durant la première guerre mondiale et en particulier
le problème du ravitaillement et des déportations de main d’œuvre
en Allemagne.
Les
Allemands sont arrivés le 7 octobre 1914 à Lille et se
maintiendront jusqu’au 16 octobre 1918. De plus, le front est resté
là quasiment stable et proche, cela vaut des bombardements d’origine
alliées sur Lille et ses alentours (une carte fort lisible du front
entre la Mer du Nord et l’est de Reims est fournie). Le journal de
Jeanne se clôt avec le retour au début 1919 de Charles, ce dernier
est passé dans l’histoire de la Libération pour avoir dessiné en
1944 le buste du général de Gaulle dont furent dotées toutes les
mairies en 1945. Son épouse Jeanne est morte à la Noël 1924 d’une
rupture d’anévrisme.
C’est
la veille du jour de la visite de Clemenceau à Lille que l’une des
héroïnes du second ouvrage se marie et cela n’est d’ailleurs
pas mis en relation. Ce choix fait d’ailleurs très plaqué, vu
qu’on ne peut envisager que les bans aient été publiés sous
l’Occupation allemande (vu une certaine mort). Les
heures sombres
de Sandrine
Lecleire-Berthier est un ouvrage de fiction qui a le mérite de
pointer que ce sont près de dix départements qui furent
partiellement occupés durant la première guerre mondiale (seules
les Ardennes le furent entièrement).
Née
en 1972 à Dunkerque, Sandrine Berthier-Lecleire nous conte les vies
bientôt parallèles de Zélie
et
Angèle,
deux amies ouvrières du textile dans la région de Dunkerque. Angèle
est orpheline et vit depuis peu chez sa grand-mère avec son frère
Pierre. Zélie quitte bientôt père et mère alcooliques en
atteignant sa majorité, elle part retrouver sa tante à Lille. On
est alors fin juillet 1914 et une semaine plus tard elle devient
vendeuse dans une pâtisserie.
Ainsi
en laissant l’une à Dunkerque et en envoyant l’autre à Lille,
notre auteur va pouvoir montrer combien la Grande Guerre fut vécue
de façon différente dans le département du Nord. Zélie est
bientôt engagée dans un hôpital lillois et va entrer dans le
réseau de résistance piloté par Louise de Bettignies (on suit dans
le récit de façon assez copieuse ce qui arrive à cette dernière
après son arrestation). Elle obtient des renseignements auprès d’un
médecin allemand amoureux d’elle. Ce dernier voudrait l’épouser
et il ne comprendra évidemment pas tout d’abord pourquoi elle s’y
refuse. Elle est en effet amoureuse d’un médecin français qu’elle
finira par épouser. Elle n’aura pas évidemment fauté car comme
le rappellent les livres écrits sur Louise de Bettignies dans
l’Entre-deux-Guerres, ici (en milieu catholique) on ne couchait pas
comme une vulgaire Marthe Richard. Par contre, pour les besoins de la
fiction on tue si cela tourne mal...
Angèle
comme Zélie, feront un mariage que les conditions de vie
d’avant-guerre rendaient absolument impossibles, entre temps Angèle
sera devenue temporairement domestique des patrons de la filature. Ce
type de mariage n’appartient pas qu’à la fiction et en lisant La
maîtresse d'école : Trente années de la carrière d'une
institutrice,
on mesurera combien surtout en région occupée, la première guerre
mondiale fit éclater les couples et provoqua des mariages ou
remariages de personnes de milieux sociaux et d’origine
géographique différents (dans ce dernier ouvrage la femme couche
avec un Allemand et le mari patron picard d’une marbrerie divorce
d’elle pour épouser une Beauceronne veuve de guerre qu’il a
connue lors d’un séjour de convalescence).
Si
les bombardements alliés touchent Lille, les obus allemands tombent
sur Dunkerque. Angèle fait la connaissance de l’aviateur français
Georges Guynemer, avant qu’il ne meure au combat en septembre 1917.
D’ailleurs des informations sont fournies en fin d’ouvrage afin
de connaître mieux les vies de Georges Guynemer et de Louise de
Bettignies.
On
note un effort de mise en fiction de faits connus comme l’histoire
connue sous le nom de "L’Affaire du pantalon rouge" dont
on trouvera un large exposé (en cent-vingt pages) dans le chapitre
concernant Lucien Bersot avec l’ouvrage Rebelles
et révolté(e)s de la Belle Époque (?) à la Grande boucherie en
Franche-Comté
de Joseph
Pinard. On suit en fait en plus de la vie des deux femmes, celle de
Pierre frère de l’une d’entre elles qui sert comme soldat dans
l’armée française.
La
collection 14/18 de Pôle Nord éditions compte maintenant huit
volumes avec des personnages principaux natifs de la Somme, de
l’Oise, du Pas-de-Calais ou du Nord. Ces romans historiques ont
parfois une dimension policière.
Autour
de la vie des civils, spécifiquement avec
des actions dans l’agglomération de Roubaix-Tourcoing,
on revisite la première guerre mondiale dans les ouvrages suivants :
La
grande séparation
de Philippe
Waret et Le
journal d’Émile : 1915 un poilu dans les tranchées
de Lou
Desmalines.
LEFEBVRE
(Jeanne), Mon journal sous l’Occupation, dans ma maison occupée
par l’ennemi, Bruxelles, éditions Jourdan, 2014, 277 p. 16,90
euros
LECLEIRE-BERTHIER
(Sandrine ), Les
Heures sombres,
Pôle
Nord, 2015, 338 p. 11 euros
Alain
Chiron
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