Dans l’introduction de
Yashka, journal d’une femme combattante Stéphane
Audoin-Rouzeau et Nicolas Werth nous disent que dans l’armée
britannique des femmes engagées comme auxiliaires portèrent
l’uniforme et un très petit nombre d’entre elles se retrouvèrent
de façon inattendue à se servir de leur arme. Le cas le plus avéré
fut celui de Flora Sandes infirmière volontaire dans l’armée
serbe qui combattit les Autrichiens lors de la retraite de ces forces
slaves à l’automne 1915. Elle fut la seule femme gradée de
l’armée anglaise qu’elle quitta en 1922 comme sergent-major.
Yashka, journal d’une femme combattante est le fruit
d’une série d’entretiens donnés par une engagée russe à un
journaliste américain au printemps 1918 ; l’ouvrage sort aux
USA début 1919 et connaît une traduction en français quatre ans
plus tard sous le titre de Yashka, ma vie de soldat :
souvenirs de la Guerre, de la Révolution et de la Terreur en Russie
(1914-1918). La narratrice est Maria Botchkareva dont le nom de
guerre est Yashka. Contrairement à ce que dit l’éditeur
elle n’était pas illettrée car elle nous confie son goût pour
les romans feuilletons et on voit mal l’armée russe attribuer le
grade de capitaine à une analphabète ; par contre sa maîtrise
de l’écrit de la langue russe était fort sommaire du fait d'une sa
scolarisation se limitant à deux ou trois années. L’héroïne
a vécu une enfance rurale dans des conditions économiques
difficiles. Elle a eu deux maris qui l’ont maltraitée. Au moment
de la déclaration de la guerre, elle séjourne en Sibérie où elle a
choisi de suivre son mari exilé pour avoir uniquement caché un
révolutionnaire. Si elle s’engage c’est en partie pour se donner
personnellement une justification à son désir de quitter son second
mari (ses convictions religieuses s’opposaient à l’abandonner), mais aussi parce que mue par une foi patriotique qui va bientôt lui
faire désirer de montrer aux hommes, au moral vite assez bas, comment
une femme sait relever les obstacles rencontrés. L’ouvrage,
au-delà d’un parcours individuel, montre bien l’évolution de
l’état d’esprit des troupes russes et en particulier le fait
qu’elles se pensent trahies par une partie de leurs officiers
supérieurs (et systématiquement par tous les supérieurs au nom
d’origine germanique, qui étaient relativement nombreux) ainsi que
par une partie des fonctionnaires et membres du gouvernement.
Les
actions habiles de propagande des Allemands sont bien évoquées et
elles réussissent partiellement du fait des très mauvaises
conditions de vie et des mépris respectifs entre les soldats et
leurs officiers. Après avoir vaincu, grâce à sa force
impressionnante, les difficultés et dangers rencontrées à
l’instruction et sur le front, elle se voit confié après
l’éclatement de la première révolution un bataillon de femmes
(qui ne connaît qu’un seul engagement en juillet 1917 à Smorgon
en Biélorussie) sur lequel elle fait régner non seulement une
discipline très rigoureuse mais où elle interdit aussi tout comité
de soldat et toute relation rapprochée avec un homme. En mars 1918, Yashka quitte la Russie pour une tournée de propagande en Amérique
au profit des armées blanches, de retour à la fin de la même année
elle est arrêtée par la Tcheka en décembre 1919 et meurt d’une
balle dans la nuque à la mi-mai 1920 après la tenue de son procès
pour activités contre-révolutionnaires. En France, des articles parus dans les journaux comme L’Illustration ou pour la jeunesse, ont
été consacrés aux combattantes Russes durant la période se situant entre les deux révolutions russes (où on prend conscience d’un
risque de retrait de la Russie du conflit). Ainsi, en septembre 1917, dans le numéro 144 des Trois
Couleurs, au public enfantin, une histoire en images évoque le
bataillon de la mort de Yashka. Le discours tenu est que les femmes Russes ont pris les armes car « les hommes en pleine guerre
faisaient de la politique et s’arrêtaient de combattre et heurter
l’ennemi » et que les Allemands sont « ahuris de
trouver là des femmes, ils crurent que c’était des démons ».
Dès le début du conflit, les Russes ont été présentés comme ceux
qui allaient faire payer aux Allemands leurs crimes sur le front
occidental ; "êtres frustres" les Slaves orientaux sont mis sur
le même plan que les populations de couleurs dans un rôle de
bourreau pratiquant des exactions auxquelles le soldat français se
refuse auprès des nouveaux sauvages que sont devenus les troupes
germaniques. C’est pourquoi, les journalistes français ne voient
pas la contradiction entre le fait d’interdire aux Françaises
(appartenant pleinement au monde civilisé) l’engagement au combat
et d’encenser les exploits d’amazones d’un pays moins évolué
et connu à travers les Cosaques pour sa violence guerrière. Le
nombre de femmes Russes ayant revêtu l’uniforme pour combattre les
troupes germaniques est évalué à près d’un millier, les
autorités civiles et militaires tzaristes ont accepté les
engagements féminins car une certaine tradition existait dans ce
domaine. Ainsi Tatiana Markina commande une unité cosaque féminine
à l’époque de Catherine II et Nadejda Dourova combat les troupes
napoléoniennes notamment à la bataille de Borodino (dite aussi de
la Moskova). L’armée américaine s’intéressa fortement au
contenu de l’ouvrage de Maria Botchkareva quand elle réfléchit à
ouvrir le recrutement de ses soldats aux femmes.
Cet article d’Alain
CHIRON est paru une première fois sur le site internet “ceux
de 14 –Maurice Genevoix“.
Maria Botchkareva.
Yashka, journal d’une femme combattante. Armand
Colin, 2012. 19,50 euros. ISBN 978-2-200-27516-7.
Avec l'aimable autorisation de monsieur Alain Chiron
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