Pouvez-vous vous présenter pour ceux qui ne vous connaissent pas encore :
Je
suis historienne de l’art et archéologue (terrestre et
sous-marine), un métier qui me comble non seulement à cause de mon
amour pour l’histoire, mais aussi parce qu’il permet d’alterner
travail intellectuel et travail physique. Cela me semble un bel
équilibre. J’ai également choisi d’écrire des romans, poussée
par l’envie de raconter des histoires avec cette grisante liberté
que permet la fiction, en totale opposition à la rigueur nécessaire
à l’écriture scientifique. Ici aussi, au fond, c’est une
question d’équilibre.
Depuis
quand vous intéressez-vous à l'histoire des femmes ?
Depuis
que j’ai pris conscience que pendant trop longtemps l’histoire a
été écrite par les hommes et que ceux-ci, afin de conserver leurs
privilèges auto-proclamés ou au service de l’une ou l’autre
église ou courant philosophique, ont volontairement passé sous
silence les actions des femmes remarquables de leur temps, ce qui
nous prive de tout un pan de notre passé. Il y a heureusement de nos
jours, en Europe comme aux États-Unis, une réaction salutaire à
cette confiscation et cette réduction de l’histoire.
Faites-vous
une différence entre les notions d'histoire des femmes, histoire de
la femme et histoire du féminisme ?
Je
ne traite en réalité aucun de ces trois thèmes à proprement
parler. Je m’intéresse aux femmes dans l’histoire. À ces
femmes, de toutes les classes sociales et de toutes les époques, qui
ne se sont pas souciées des diktats pour vivre la vie qu’elles
s’étaient choisies (dans le meilleur des cas) ou pour tenter de
survivre (dans le pire et le plus fréquent des cas) dans un monde où
il valait mieux être né avec des attributs masculins entre les
jambes si l’on voulait échapper à la médiocrité et à la
misère. Les héroïnes sur lesquelles je m’attarde ne sont pas des
militantes, ce sont des battantes qui n’ont pas attendu l’éclosion
des mouvements féministes pour exister. Je laisse à d’autres —
qui font cela beaucoup mieux que je ne le ferais — le soin de
retracer l’histoire du féminisme.
Ces
différentes approches sont complémentaires et me paraissent
nécessaires en ce sens qu’elles permettent de toucher un public
extrêmement varié.
Comment
choisissez-vous les thèmes de vos ouvrages ?
L’élément
déclencheur est toujours l’envie de raconter. Mes cinq romans ont
des sujets très différents (ce qui, commercialement, n’est pas la
meilleure idée qui soit car cela nécessite de la part du lecteur
une certaine souplesse d’esprit, voire un esprit aventureux). Par
contre, mes trois derniers livres, aux Éditions du Trésor, traitent
tous de la thématique des femmes, pour la simple raison que plus je
travaille sur ce thème, plus il me paraît riche et vaste. Mais
qu’il s’agisse de fiction ou de récits historiques, il est
impératif que les personnages me fassent rêver, me touchent ou me
révulsent et, surtout, m’emmènent dans un monde différent du
mien, loin de mon quotidien. C’est ce que j’attends de la
littérature en tant que lectrice, c’est ce que j’essaie de faire
en tant qu’auteure.
Lorsque
vous avez écrit Femmes
pirates
et Femmes en armes
n'aviez-vous pas peur des redondances avec d'autres ouvrages
existants sur ces mêmes sujets ?
C’était
effectivement le piège à éviter. Il est évident que je n’allais
pas consacrer un chapitre de « Femmes en armes » à
Jeanne d’Arc alors qu’il existe déjà des centaines de livres
extrêmement bien documentés sur le sujet.
J’ai
donc délibérément choisi de m’attacher à des femmes moins ou
peu familières au grand public. Non seulement pour éviter les
redondances mais aussi parce qu’une partie de mon plaisir est dans
la recherche préalable à l’écriture. Je suis une chercheuse,
j’adore le travail en archives, que je vois comme une sorte
d’enquête policière (et qui n’a pas rêvé un jour, dans son
enfance, d’être détective ?) Mais bien sûr, il faut aussi
tenir compte des contraintes éditoriales et, dans une mesure
raisonnable, des contingences commerciales en introduisant une ou
deux figures plus connues. Pour les « Femmes pirates »,
par exemple, j’avais dans un premier temps décidé de ne pas
évoquer Mary Read et Ann Bonny que je trouvais déjà suffisamment
célèbres.
C’est
à l’insistance de mon éditeur que je les ai finalement incluses,
en essayant de trouver une approche personnelle qui m’a donné
l’occasion de rétablir quelques faits et de faire un tri dans la
vaste information (de qualité diverse) qui existe à leur sujet. Et
mon éditeur avait raison : dans la plupart des interviews et
des commentaires de lecteurs, ce sont elles qui ressortent…
Madame Ching |
Comment
vous est venue l'idée d'un livre sur les femmes naufragées ?
Parce
que l’histoire des naufrages c’est en quelque sorte mon métier.
Sans naufrage il n’y a pas d’épaves, donc pas d’archéologie
sous-marine. J’ai lu dans ma carrière des centaines de récits de
naufrages dont il ressort que ce sont les femmes (et les enfants) qui
paient le plus lourd tribut à la mer dans ces circonstances. (« Les
femmes et les enfants d’abord » est un mythe, une consigne
qui ne date que du milieu du 19ème siècle.) J’ai ainsi découvert
de passionnants récits de survie écrits par les intéressées
elles-mêmes, après des séjours mouvementés dans des zones
inexplorées en leur temps, auprès de tribus africaines ou chez les
aborigènes par exemple. Pour celles qui ne s’en sont pas sorties
vivantes, il existe des témoignages qui relatent leurs souffrances
et leurs aventures. Saviez-vous qu’il y avait une femme sur le
radeau de la Méduse ? Peu de gens le savent, moins encore
savent pourquoi elle était là (et on n’est même pas sûrs de son
nom). Tout cela m’a paru valoir un livre en hommage à ces héroïnes
malgré elles, pour la plupart oubliées.
Ann Saunders égorgeant le cadavre de son fiancé pour boire son sang. In Sténuit, Marie-Ève, Une femme à la mer ! Aventures de femmes naufragées, Éditions du Trésor, 2017. |
De
toutes ces femmes avec qui vous avez cheminé dans vos livres,
laquelle vous ressemble le plus ?
Parmi
mes personnages de fiction, c’est la narratrice de « Un éclat
de vie », un petit roman dynamique et rempli d’autodérision
qui repose en partie sur des expériences personnelles. Quant aux
héroïnes du monde réel, celle avec qui je me sens le plus
d’affinités (à l’exception de sa ferveur religieuse qui m’est
tout à fait étrangère) est peut-être Mathilde de Canossa, une
femme libre et grande stratège du Moyen Âge, discrète, patiente,
diplomate et bigrement efficace.
La cantinière du radeau de la Méduse. Gravure de Antoine Alphonse Montfort. In Sténuit, Marie-Ève, Une femme à la mer ! Aventures de femmes naufragées, Éditions du Trésor, 2017. |
Et
laquelle vous a le plus marqué ?
J’ai
toujours été émue par le parcours de Louise Antonini et de
Julienne David, qui l’une et l’autre s’étaient engagées sur
des frégates corsaires en se faisant passer pour des hommes, et cela
après un parcours déjà extraordinairement aventureux.
Sans
se connaître, elles ont vécu des destins très semblables :
après que leurs navires aient été capturés par les Anglais, elles
ont subi l’enfermement sur les sinistres pontons du sud de
l’Angleterre. Louise a passé dix-huit mois et Julienne huit ans,
dans ces prisons flottantes sans jamais songer à révéler leur
véritable identité aux autorités, ce qui leur aurait permis de
bénéficier de conditions d’emprisonnement plus clémentes. Elles
se sont éteintes toutes les deux, à dix-huit ans d’intervalle, à
l’Hôtel Dieu de Nantes, respectivement en 1861 et en 1843.
Quels
auteurs vous ont le plus influencé dans votre parcours d'écrivain ?
Dans
le plus grand désordre : Boris Vian, André Malraux, Stendhal,
Marguerite Duras, Arundhati Roy, Joseph Conrad, Jaume Cabré,
Alexandre Dumas, Arturo Pérez-Reverte, etc.
Allez-vous
continuer à écrire sur les femmes, ou est-ce une parenthèse dans
votre oeuvre littéraire ?
Je
n’avais pas du tout prévu d’écrire plusieurs livres sur ce
sujet mais plus je cherche, plus je trouve matière à raconter. J’ai
du mal à résister. Après les femmes pirates, mon éditeur m’avait
demandé un ouvrage sur « les aventurières ». C’est un
sujet très large, sur lequel il existe déjà des centaines de
publications (où l’on retrouve souvent les mêmes héroïnes,
souvent des voyageuses). En voulant être moins générale et faire
quelque chose de différent, j’ai abouti aux naufragées puis aux
femmes en armes, pour lesquelles il y avait largement de quoi faire
un volume entier (et bien plus, il m’a fallu me restreindre).
J’ai
encore un quatrième livre en préparation sur le thème des femmes,
consacré celui-ci aux « pionnières » dans des domaines
aussi divers que la plongée pieds-lourds, la chasse à la baleine,
l’ascension en ballon ou la découverte du parachute (mon sommaire
n’est pas encore terminé...).
Après
cela, j’aimerais retourner à mes romans.
BIBLIOGRAPHIE
Romans
Les
Frères Y,
Le Castor Astral (Escales du Nord), 2005. Réédition augmentée en
2017 sous le titre : La
véritable histoire des Frères Y,
Le Castor Astral, 2017
La
Veuve du gouverneur, Le
Castor Astral (Escales des Lettres), 2007
Le
Bataillon des bronzes, Le
Castor Astral (Escales des Lettres), 2008
Un
Éclat de vie,
Le Castor Astral (Escales des Lettres), 2011
Le
Tombeau du guerrier,
Serge Safran éditeur, 2012
Récits
historiques
Femmes
pirates. Les écumeuses des mers,
Éditions du Trésor, 2015
Une
Femme à la mer ! Aventures de femmes naufragées,
Éditions du Trésor, 2017
Femmes
en armes. Les guerrières de l’Histoire,
Éditions du Trésor, 2018
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