mercredi 31 août 2022

LIVRE : MADELEINE MICHELIS, Correspondance d’avant guerre et de guerre ( Mots-clés : résistance, occupation)

 

Quelle merveilleuse figure que celle de Madeleine Michelis (1913-1944). Ses échanges épistolaires avec son “cher vieux” (son frère Jean), ses “chers parents” et quelques amis, de 1935 à 1944, nous font découvrir, et revivre, une jeune femme à l’esprit vif, qui semble tout voir, tout comprendre et analyser l’actualité et ce qui l’entoure avec une folle perspicacité. De la douce Angleterre en paix à la France occupée, au travers des lignes, Madeleine est incisive, primesautière, drôle, sarcastique… Sa correspondance se lit comme un très bon livre, presque comme un roman. Le style, le ton, la langue font d’elle un talentueux prosateur : “Toujours la même amitié entre mes gosses, moi et la mer. Les couleurs se ternissent de jour en jour, le temps s’étouffe. Il fait froid” (novembre 1939). 

 


 


Lorsque la guerre vient puis s’installe, malgré les revers de l’armée française, Madeleine ne perd pas confiance : “quoiqu’il arrive, je crois invinciblement en l’avenir de la France. Je suis trop attachée à sa culture, à son âme pour ne pas être bouleversée par ce qui se passe” (23 mai 1940). À la différence de sa mère, elle ne peut se résoudre à approuver le discours du maréchal Pétain, “quel coup ? On vient d’entendre Pétain. On espérait la résistance à outrance, au moins.”


Dans ses lettres tout explose, tout est dit sans retenue, mais avec beaucoup de finesse, à une époque ou il faut être discret : “Maman est affectée d’une anglophobie suraiguë, doublée pa l’histoire navale d’avant hier. Elle chante les louanges du gouvernement français “qui vient de signer l’armistice pour sauver la vie de tant d’hommes” and so on. Très agréable à entendre surtout quand on vient d’une zone occupée” ou encore “je me suis brillant magnifiquement retapée, mais le moral est beaucoup moins brillant, surtout depuis que le pays est pourri d’hôtes supplémentaires. On les ignore le plus possible, voilà tout.” De caractère, elle n’en est pas dépourvu. La stigmatisation des juifs lui fait perdre toute contenance : “toutes ses mesures prises sont admirablement préparées : hier, mesures odieuses contre les juifs. Or, depuis 2 mois, articles de toutes sortes sur les juifs, attaques personnelles et nominales, “comment ils volent, comment ils s’insinuent, comment ils ont créé une internationale dans l’État, etc.”


Lorsque l’on parcours cette correspondance on découvre la joie, l’insouciance, la vie, l’espérance… mais nous connaissons ce qu’elle ne connait pas encore, sa fin tragique. Ce qui rend ce livre d’autant plus émouvant. 

En octobre 1940, Madeleine Michelis écrit avec beaucoup de bon sens “Il est tellement plus facile de s’opposer à ce qui va se faire que de desserrer le noeud qui vous étrangle. Et quand l’étranglement devient volontaire et conscient !” Pour elle l’étranglement ne sera jamais volontaire et conscient. Résistante, elle est arrêtée le 13 février 1944, transférée à Paris, soumise au supplice de la baignoire, elle meurt étranglée, victime de ses bourreaux ou suicidée, nul ne le sait.


Correspondance d’avant-guerre et de guerre, n’est pas un livre sur la résistance à proprement dit, mais plus une correspondance personnelle qui au fil du temps et des pages nous fait vivre un vécu et un ressenti de la guerre. Une merveille littéraire.


MICHELIS (Madeleine), Correspondance d’avant guerre et de guerre, Paris, Le Félin, 2015, 20 euros