vendredi 6 septembre 2013

8 QUESTIONS A : CHANTAL ANTIER (mots-clés : Grande Guerre, première guerre mondiale, résistance, espionne, espionnage, Ramble)


Cette nouvelle rubrique donne la parole à un auteur, un historien... Pour l'inaugurer, nous donnons la parole à l'historienne Chantal Antier pour son livre Louise de Bettignies paru chez Tallandier. Notre prochaine invitée sera Marie-José Chavenon pour son livre Inès Lyautey paru aux éditions Gérard Louis et dont nous ferrons une recension dans un futur post.




1/ Pourquoi ce choix de Louise de Bettignies et pas une autre héroïne ?

Après avoir vu un film sur Louise de Bettignies pendant la seconde guerre, et très frappée par son destin,  j’ai décidé plus tard de m’intéresser en tant qu’historienne de la Grande Guerre à ces femmes dont on a peu parlé en dehors des films sur Mata-Hari la « fausse espionne ».

2/ Qui était-elle ?

Louise de Bettignies est le huitième enfant d’une famille lilloise d’origine belge dont le père dirige une usine de faïence renommée à Saint-Amand-Les-Eaux en association avec un frère et un beau-frère. Elevée dans un pensionnat religieux selon la tradition des familles catholiques du Nord, elle montre rapidement sa personnalité originale, indépendante mais profondément pieuse. Envoyée par son père en Angleterre, pour y poursuivre ses études, elle apprécie la liberté offerte et les débuts du féminisme. La mort de son père la pousse à trouver du travail comme préceptrice en France et en Europe jusqu’à la veille de la Grande Guerre. A son retour se déchaîne la guerre de 1914 où dès octobre sa ville est envahie par les Allemands, après la Belgique déjà occupée. Elle envisage très vite de résister soit en nourrissant les combattants français près de chez elle, soit en acceptant de transporter plus de 600 messages de Lillois à leurs parents réfugiés en France lors de son voyage pour retrouver sa famille. Elle est sollicitée en passant à Folkestone en Angleterre pour travailler avec les services secrets britanniques puis en France par les services secrets français. Elle accepte de créer le réseau Ramble à Lille pour les Britanniques et prend le nom d’Alice Dubois. La dureté de son combat la pousse à trouver une amie chaleureuse, prête à partager ses angoisses et ses distributions de messages  : Léonie Vanhoutte devenue Charlotte Lameron. Toujours ardente, sans peur devant les pires difficultés, elle traverse avec son amie au péril de sa vie la Belgique occupée. Elles sont arrêtées en septembre 1915 l’une après l’autre sans que la police allemande ne fasse le rapport entre elles. Elles se retrouvent dans la prison de Saint Gilles à Bruxelles où par une ruse de la police, leur travail commun est découvert. Le 16 mars 1916, Louise est d’abord condamnée à mort puis au bagne à perpétuité et Léonie à 15 ans de prison. Très maltraitée au bagne de Siegburg, considérée comme rebelle, car elle veut faire appliquer les Conventions de Genève, elle garde malgré tout espoir de sortir grâce aux démarches de sa famille, de ses amis et de ses prières. Très malade après deux jours au cachot, une opération faite en prison, elle est enfin emmenée à l’hôpital de Cologne où elle garde encore espoir d’être envoyée en Suisse. Elle meurt le 18 septembre 1918. Ce courage, cette droiture et cette liberté d’agir et de penser l’ont parfois fait juger comme exaltée à une époque de guerre où pourtant des femmes se sont révélées aussi courageuses que les soldats.

3/ Espionne ou résistante ?

De résistante Louise est passée agent secret, le rôle est différent quoiqu’aussi périlleux et courageux. Parlant plusieurs langues, dirigeant un groupe d’espions, parfois arrêtés et à remplacer, transportant des messages, parfois du matériel radio ou des pigeons voyageurs, elle doit suivre les consignes de ses chefs britanniques et même aller parfois jusqu’à Londres prendre les consignes.

4/ Un mot sur le réseau Ramble

Le réseau Ramble est un des rares dirigés de l’extérieur, par les services secrets britanniques au contraire de plusieurs essentiellement belges et dirigés par une femme. Un bureau se trouve à Flessingue, Pays-Bas, le Foreign Office dirige des bureaux en Angleterre à Folkestone ou à Londres. Très rapidement, Louise réunit quarante personnes grâce à une équipe de résistants déjà spécialisés dans le passage de soldats ou de jeune gens de Belgique aux Pays-Bas pour continuer le combat contre les Allemands.

Les secteurs d’espionnage sont confiés à des hommes et des femmes de ce groupe qui recrutent, surveillent et réunissent les messages à jour fixe dans des lieux passagers (bars, commerces) Louise lit ces informations et les condense, Léonie est chargée de les mettre sur papier japon avant leur transfert dans des cachettes sous les déguisements.

Au moment de l’arrestation de Léonie, quatre-vingts personnes travaillent soit régulièrement soit temporairement pour ce réseau.

(Depuis mon livre plusieurs personnes m’ont écrit pour me dire que leur grand-mère ou arrière-grand-mère avait travaillé avec ce réseau et m’ont envoyé des preuves)

5/ Peut-on comparer la résistance de la Grande Guerre à celle de la seconde guerre mondiale ?

Je ne pense pas que la résistance en 1940-1945 ait été la même qu’en 1914. Il y a eu une organisation de la Résistance en France, parce qu’elle a été entièrement occupée, même si l’aide de l’Angleterre a été importante. Différents groupes ou partis avant l’arrivée de Jean Moulin existent  : militaires démobilisés ou mis à la retraite anticipée, parti communiste : FTP, FFI, jeunes contre le STO etc. Peu de femmes ont dirigé un réseau mais les peines ont été parfois aussi violentes, camps de déportées, déjà commencés en 1915 en Allemagne mais moins organisés comme en 1940-1945.

6/ Quels apports nouveaux les archives de la famille de Louise de Bettignies ont apporté à la réalisation du livre ?

Les archives et photos familiales surtout les lettres écrites en prison, les contacts avec des descendants, m’ont permis de sortir de l’image présentée par les livres écrits sur Louise surtout par ses proches. Je pense avoir appréhendé la personnalité réelle de cette femme que la famille si elle l’a considérée comme une héroïne n’a pas voulu que son nom reste attaché à l’idée d’espionnage. J’ai tenté de comprendre aussi sa haine des Allemands, même avant la guerre, sans doute parce qu’elle avait été élevée dans les souvenirs de la guerre de 1870 dans le Nord.

Les livres antérieurs écrits entre 1919 et 1938, témoignages d’espionnes ou de résistantes, également les archives de Bruxelles avec les lettres de femmes du réseau Ramble recueillies en 1920 sont intéressants, car ils montrent aussi comment à cette époque où on pense surtout aux années folles le drame de nombreuses femmes dévouées à leur patrie a existé.

7/ Sur quelle autre héroïne de la Grande Guerre souhaiteriez-vous écrire ?

Pour le moment je ne pense pas à écrire un autre livre même si la biographie de certaines femmes m’intéressent.

8/ Selon vous, l'histoire des femmes, au cours des deux conflits mondiaux, a-t-elle trouvé son public en France ?

Je me réjouis de savoir qu’un livre d’histoire écrit par de nombreuses historiennes commence à être utilisé dans les programmes scolaires. Françoise Thébaud, la première à écrire sur les femmes en 1914 a ouvert une voie qui m’a encouragée, son livre sera prochainement réédité. (Ndb : Françoise Thébaud, La Femme au temps de la guerre de 14, Paris, Stock, 1986)

Merci à Chantal Antier d'avoir répondu à nos questions.

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