Entre 2006 et 2009, les
éditions Geste firent l’effort de rééditer toute l’œuvre
d’Ernest Pérochon. Les trois tomes eurent un grand succès, si
bien qu’aujourd’hui il ne reste plus de disponible que quelques
exemplaires du second volume qui contient en particulier Les
Creux-de-maisons et Le Chemin de plaine. Aussi,
avec la sortie du film Les Gardiennes, sous
le nom des éditions Métive (département de Geste), est
réédité le roman Les Gardiennes,
avec d’ailleurs en couverture l’affiche du film.
Couverture du livre Les Gardiennes d'Ernest Pérochon |
Ce sont des femmes à la
campagne durant la première guerre mondiale que l’auteur nous
évoque :
« Elle songeait aux
jeunes hommes partis à la guerre. Après la victoire, quand ils
renteraient au pays, ils ne manqueraient point de demander :
- Qu’avez-vous fait de
tout ce que nous avions laissé ? Femmes ! êtes-vous
restées bonnes gardiennes chez nous ? Avez-vous
entretenu le feu de nos maisons aimées. »
Ernest Pérochon, après une
crise cardiaque sur le front, rejoint Niort en janvier 1915 dans le
service auxiliaire ; il observe les campagnes des Deux-Sèvres
et en 1924 est publié, alors chez Plon, le roman qui nous intéresse.
L’auteur montre comment femmes et enfants prennent le relais pour
assurer la production agricole et répondre à la production du pain
dans l’unique boulangerie du village restée en service. L’action
dans la boulangerie s’inspire de faits authentiques qui se sont
situés dans le sud-est du département et le village ressemble fort
à un de ceux qui, à la limite des Deux-Sèvres et de la Vendée,
appartiennent au Marais poitevin. Ces agricultrices sont également
le vecteur de la première mécanisation des campagnes (les animaux
de trait sont largement réquisitionnés), comme on peut le
comprendre. En France on paya correctement les produits agricoles, il
n’y eut donc pas de marché noir entre 1914 et 1918 comme en
Allemagne et un encouragement à produire (alors qu’outre-Rhin les
prix imposés étaient bien faibles, donc peu enclins à susciter un
dépassement de ses forces).
« Il y eut une belle
hausse, ce printemps là [1917], sur toutes les denrées. Personne ne
parla plus d’abandonner la culture ; les femmes les moins
courageuses, les vieillards les plus fatigués se ressaisirent ; les
champs qui étaient restés en friche furent bien vite
ensemencés.
On fignola moins la besogne ; des procédés nouveaux et rapides furent employés. L’abondance d’argent facilita les choses, permit, par exemple, aux gros et moyens exploitants d’acheter des machines venues des pays étrangers. Malgré la rareté toujours plus grande de la main-d’œuvre virile, le travail se fit mieux que les années précédentes.
Il ne faut pas se hâter de dire que c’était le seul appât du gain qui relevait ainsi le courage des gens de la terre. Dans les âmes les plus humbles, il y avait le sentiment exaltant d’une victoire ; victoire pénible, lente, achetée au prix de peines obscures et incroyables, auxquelles, dans le désordre tragique de la guerre, on ne prêtait peut-être pas suffisamment attention. »
On fignola moins la besogne ; des procédés nouveaux et rapides furent employés. L’abondance d’argent facilita les choses, permit, par exemple, aux gros et moyens exploitants d’acheter des machines venues des pays étrangers. Malgré la rareté toujours plus grande de la main-d’œuvre virile, le travail se fit mieux que les années précédentes.
Il ne faut pas se hâter de dire que c’était le seul appât du gain qui relevait ainsi le courage des gens de la terre. Dans les âmes les plus humbles, il y avait le sentiment exaltant d’une victoire ; victoire pénible, lente, achetée au prix de peines obscures et incroyables, auxquelles, dans le désordre tragique de la guerre, on ne prêtait peut-être pas suffisamment attention. »
Contrairement à ce que
certains ont pu écrire, il n’y a pas en plus dans ce roman une
"amourette pour faire pleurer dans les chaumières". En
fait, à travers la liaison entre un soldat en permission
(responsable de la ferme avant-guerre) et Francine (une ancienne
enfant de l'Assistance publique), c’est la question de la fidélité
des femmes durant la Grande Guerre qui est posée. Le paradoxe est
que Francine est victime de médisances alors que c’est une fille
fidèle, mais il est vrai que son entrée dans la famille contrarie
les projets de certains. Pendant ce temps d’autres villageoises
puisent abondamment dans un ensemble composé en particulier d’hommes
réfugiés de Belgique ou des départements occupés et de Français
mobilisés dans les usines ou divers services (comme les hôpitaux).
Cette question de la fidélité des femmes est d’ailleurs
magnifiquement illustrée dans un des tous premiers dessins d’humour
du Canard enchaîné signé par Lucien Laforge (qui
travaillera ultérieurement pour L’Humanité et Le
Libertaire). La scène présente un gros bourgeois âgé en
compagnie d’une femme ; le lit est surmonté du portrait du
mari absent en uniforme. En évaluant la résistance du lit
conjugal, la femme s’interroge en employant cette
formule plus nettement appropriée au combattant sur le front :
« Pourvu qu’il tienne ».
Dessin de Lucien Laforge |
On a aussi le réservoir des
Américains très présents dans cette région proche du port de La
Rochelle où de nombreux bateaux américains arrivent chargés de
sammies ou de marchandises. À ce propos, signalons que Rémy Porte
dans son ouvrage Les États-Unis dans la Grande Guerre: Une
approche française, cite un texte d’un journal de tranchées
où les soldats américains (mieux payés que les poilus et résidant
plusieurs mois à l’arrière pour une préparation à subir les
dangers du front) sont clairement accusés de coucher avec les femmes
des militaires français. Une des phrases du poème en question est :
« Les amis de nos amies sont les sammies ». Le film
développe plus largement les liens que les Américains entretiennent
avec les villageois et on s’en doute avec les villageoises ;
ce sont eux qui sont les uniques tombeurs des femmes françaises dans
le scénario.
Le film Les Gardiennes
sort officiellement le 6 décembre 2017 ; toutefois il a déjà
largement été présenté dans de nombreux festivals en France et à
l’étranger. Le plus proche géographiquement du lieu de l’action
du roman fut celui du 8e festival international du film
qui s’est déroulé du 16 au 22 octobre à La Roche-sur-Yon. Ce
film de Xavier Beauvois s’est fait car sa productrice Sylvie
Pialat connaissait le roman éponyme d’Ernest Pérochon. Nathalie
Baye est la mère du poilu qui gérait la ferme (avant août 1914) et
sa fille Laura Smet est également son enfant dans le film.
L’héroïne, la fille de l’Assistance publique, est incarnée par
Iris Bry une actrice débutante qui doit à sa sensible
interprétation de figurer parmi les tente-six noms en compétition
pour le César du Meilleur Espoir.
La composition de la famille
de référence est assez bouleversée entre le roman et le film,
puisque le poilu en vedette se trouve doté de deux frères. Ceci a
l’avantage de diversifier les destins des poilus que l’on suit
vraiment : notre personnage principal revient légèrement
mutilé physiquement et largement traumatisé psychiquement, un de
ses frères est porté disparu alors que l’autre est fait
prisonnier.
Les Gardiennes projet d'affiche non retenu |
Le récit sur pellicule fait
du disparu un maître d’école (ce qu’était Ernest Pérochon à
la Belle Époque) et cela permet d’introduire un aspect totalement
absent du roman, à savoir la mobilisation idéologique des enfants
(stimulée dans le film par l’institutrice du village). Lors de la
projection publique à laquelle j’ai assistée, cet aspect était
perçu comme romancé alors que le poème vengeur et insultant
vis-à-vis des "boches" était disons évaluable dans les
quatre sur dix dans l’échelle des horreurs prêtés aux Allemands
que l’on racontait aux enfants à l’école et dans l’importante
presse pour les jeunes (n’oublions pas qu’ils ont reçu en
particulier de plein fouet l’histoire des mains que des soldats du
Reich aurait coupées à des enfants belges).
Non seulement le travail des
champs est bien reconstitué, avant et après l’aide d’engins
motorisés (grâce au conseil de l’authentique paysan charentais
qui joue l’oncle très âgé du poilu centre du récit) mais le
spectateur découvre également le métier de charbonnier qu’assure
l’héroïne après son renvoi de la ferme. D’après l’adresse
vue sur une enveloppe, l’action a été située ici au sud de la
Vienne ; en fait seule la ferme est se trouve là (à Journet
précisément). Le tournage s’est fait pour l’essentiel, non loin
de là, mais en Haute-Vienne et dans l’Indre. La gare est celle de
Verneuil-sur-Vienne et la salle de classe reconstituée ainsi que les
rues sont celles de Montrol-Sénard, un village qui se veut
globalement un lieu de conservation de la vie rurale. On verra la
bande-annonce du film ici :
Alain CHIRON
A lire :
PEROCHON (Ernest). Les
Gardiennes, Métive, 2017, 344 p.
A voir :
Les Gardiennes, film français de Xavier Beauvois, 2017, 134 minutes
A voir :
Les Gardiennes, film français de Xavier Beauvois, 2017, 134 minutes
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