Singulière histoire que
celle de ces milliers de jeunes femmes, volontaires ou arrachées de
gré à leur foyer, pour affronter un combat à mort entre deux
totalitarismes, le communisme et le nazisme. A peine sorties de
l'adolescence, n'ayant jamais côtoyé la guerre, la mort, la
brutalité, la violence ou les hommes, elles se retrouvent ainsi à
libérer le territoire national les armes à la main, dans cette
grande guerre patriotique d'une violence inouïe sans précédent.
Dans les premiers mois de
l'invasion de l'URSS par l'Allemagne nazie, le pays perd une telle
proportion de sa population masculine qu'il doit recruter des femmes
« à une échelle encore plus étendue qu'auparavant ».
On estime que 500 000 à près d'un million d'entre-elles fit
partie des effectifs de l'armée rouge pendant la seconde guerre
mondiale. La pays prônant une égalité des sexes à 100%, outre les
fonctions administratives, les femmes servent comme infirmières,
opératrices téléphoniques, cuisinières, radios et ainsi de suite.
Mais ce qui a toujours marqué les occidentaux ce sont les
escadrilles féminines, les femmes tankistes, fusiliers marins ou
encore les femmes tireurs d'élite sujet du présent ouvrage.
A la vérité les futures
tireuses d'élite « n'avaient qu'une vague idée de ce
qu'impliquerait leur futur rôle de snipers ». Le mouvement
des tireurs d'élite est né de lui-même sur le front de Leningrad
en 1941 avant de prendre une ampleur sans précédent. Des milliers
d'hommes et de femmes apprirent leur métier sur le front. Ainsi,
manquant totalement de formation, la tireuse d'élite du front de
Volkhov, Lida Larionova, « affichait un score d'un seul
allemand tué, bien qu'étant déjà une combattante expérimentée. »
D'autres eurent la chance de l'apprendre au sein de l'Ossoaviakhim
(fondée en 1927) ou à l'école principale de préparation des
femmes snipers qui, de 1943 à 1945, forma plus d'un millier de
femmes et 407 instructeurs-snipers.
L'arrivée à l'armée est
généralement marquée par une perte de toute féminité, uniformes
et bottes d'hommes trop grands, cheveux coupés comme ceux des
hommes. Viennent les cours théoriques, la marche au pas, les
exercices de tirs, l'art du camouflage, etc. Envoyées au front les
tireuses d'élite forment des sections rattachées à des régiments.
Elles travaillent seules ou en binôme, et lorsqu'elles n'effectuent
pas leur travail de sniper elles se font simple fantassin ou
infirmières.
Ce qui marqua le plus les
tireuses d'élite fut la mort de leur premier allemand. Pour Anya
Moulatova, comme la majorité de ses comparses, « il était
plus facile moralement de tuer à grande distance. En tirant de deux
cents mètres, les tireurs d'élite, dans leur lunette de visée,
distinguaient parfaitement le visage de leur victime. Mais deux mois
plus tard, Anya se vit contrainte de tirer sur un allemand à une
distance de seulement cinq mètres, et l'image de cet allemand la
tortura ensuite toute sa vie ».
Le livre nous fait découvrir
le destin individuel de ces jeunes femmes, ou plus âgées, comme
Nina Petrova combattant au siège de Leningrad. Elles eurent pour
nom Roza Chanina, Jénia Makeïeva, Lida Bakieva, Véra Tchouïkova,
etc. L'auteur revient sur Ludmilla Pavlitchenko qui serait avec 309
ennemis tués la plus grande tireuse d'élite de l'armée rouge.
Grâce à un argumentaire imparable et une confrontation de sources
sérieuse, Liouba Vinogradova démontre que le palmarès de Ludmilla
fut monté de toute pièce par le pouvoir en place et qu'elle ne fut
qu'une marionnette en ses mains.
Leurs parcours défile,
Leningrad, Biélorussie, Crimée, Prusse Orientale jusque Berlin. Une
guerre inhumaine, où la mort devient une banalité à laquelle on
s'habitue, tout comme la faim, la saleté, la vermine, où l'ennemi
est parfois dans son propre camp. Viols ou tentatives de viols des
officiers, maltraitances... Témoins de crimes de guerre, de viols,
sur des civils, des enfants allemands, voire des Russes ayant rejoint
les Allemands systématiquement exécutés, donnant ainsi un sens à
ce qu'affirmait Ilya Ehrenbourg, propagandiste de la haine, « les
Allemands ne sont pas des êtres humains » « tuons-les.
Si tu ne tues pas ne serait-ce qu'un allemand par jour, ta journée
est gâchée. » L'une d'elles écrit « la haine
était notre soutien, rien d'autre n'aurait pu nous faire tenir ».
A la fin de la guerre celles qui furent faites prisonnières au cours
du conflit par les Allemands puis libérées par l'armée rouge
furent considérées comme des traitres ayant préféré se rendre
plutôt que de se battre. Lors de sa libération la pilote Anna
Egorova, qui avait été abattue près de Varsovie et présentait de
graves brûlures et des fractures causées par sa chute passa par un
camp de triage et, bien qu'elle tienne à peine debout « et
que la fine pellicule de peau qui recouvrait ses brûlures se
craquelait et laissait suinter le sang. » Le commandant du
Smerch ne l'autorisa pas à s'asseoir. « Il traita
l'aviatrice libérée de captivité de « berger allemand ».
Liouba Vinogradova suit le
destin tragique, véritablement hors du commun, de jeunes filles
blessées par la guerre, tireuses d'élite émérites, mais aussi
pilotes de chasse ou de bombardier accomplies. Le livre est dur et
montre, par l'exemple, qu'il n'exista pas d'égalité entre hommes et
femmes au front. Ce qui ne veut pas dire que certaines femmes ne
surent pas se défendre et s'imposer. Il montre aussi que la haine ne
fut pas le fait seul de la barbarie nazie, mais aussi celle de
l'autre dictature que fut l'URSS de Staline et dont les armées
commirent les pires crimes sur le sol allemand.
L'auteur nous offre encore
un merveilleux livre, qui, parfois, peut paraître décousu, mais,
pour autant, est un témoignage capital dans la compréhension d'un
conflit encore si présent dans nos mémoires.
VINOGRADOVA (Liouba), Les
Tireuses d'élite de l'armée rouge, Paris, éditions Héloïse
d'Ormesson, Paris, 2018, 384 pages 23 euros
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