mardi 23 octobre 2018

LIVRE : LES TIREUSES D'ELITE DE L'ARMEE ROUGE par Liouba Vinogradova (Mots-clés : URSS, Russie, seconde guerre mondiale, sniper, armée rouge)

 Singulière histoire que celle de ces milliers de jeunes femmes, volontaires ou arrachées de gré à leur foyer, pour affronter un combat à mort entre deux totalitarismes, le communisme et le nazisme. A peine sorties de l'adolescence, n'ayant jamais côtoyé la guerre, la mort, la brutalité, la violence ou les hommes, elles se retrouvent ainsi à libérer le territoire national les armes à la main, dans cette grande guerre patriotique d'une violence inouïe sans précédent. 




Dans les premiers mois de l'invasion de l'URSS par l'Allemagne nazie, le pays perd une telle proportion de sa population masculine qu'il doit recruter des femmes « à une échelle encore plus étendue qu'auparavant ». On estime que 500 000 à près d'un million d'entre-elles fit partie des effectifs de l'armée rouge pendant la seconde guerre mondiale. La pays prônant une égalité des sexes à 100%, outre les fonctions administratives, les femmes servent comme infirmières, opératrices téléphoniques, cuisinières, radios et ainsi de suite. Mais ce qui a toujours marqué les occidentaux ce sont les escadrilles féminines, les femmes tankistes, fusiliers marins ou encore les femmes tireurs d'élite sujet du présent ouvrage.

A la vérité les futures tireuses d'élite « n'avaient qu'une vague idée de ce qu'impliquerait leur futur rôle de snipers ». Le mouvement des tireurs d'élite est né de lui-même sur le front de Leningrad en 1941 avant de prendre une ampleur sans précédent. Des milliers d'hommes et de femmes apprirent leur métier sur le front. Ainsi, manquant totalement de formation, la tireuse d'élite du front de Volkhov, Lida Larionova, « affichait un score d'un seul allemand tué, bien qu'étant déjà une combattante expérimentée. » D'autres eurent la chance de l'apprendre au sein de l'Ossoaviakhim (fondée en 1927) ou à l'école principale de préparation des femmes snipers qui, de 1943 à 1945, forma plus d'un millier de femmes et 407 instructeurs-snipers.

L'arrivée à l'armée est généralement marquée par une perte de toute féminité, uniformes et bottes d'hommes trop grands, cheveux coupés comme ceux des hommes. Viennent les cours théoriques, la marche au pas, les exercices de tirs, l'art du camouflage, etc. Envoyées au front les tireuses d'élite forment des sections rattachées à des régiments. Elles travaillent seules ou en binôme, et lorsqu'elles n'effectuent pas leur travail de sniper elles se font simple fantassin ou infirmières.

Ce qui marqua le plus les tireuses d'élite fut la mort de leur premier allemand. Pour Anya Moulatova, comme la majorité de ses comparses, « il était plus facile moralement de tuer à grande distance. En tirant de deux cents mètres, les tireurs d'élite, dans leur lunette de visée, distinguaient parfaitement le visage de leur victime. Mais deux mois plus tard, Anya se vit contrainte de tirer sur un allemand à une distance de seulement cinq mètres, et l'image de cet allemand la tortura ensuite toute sa vie ».

Le livre nous fait découvrir le destin individuel de ces jeunes femmes, ou plus âgées, comme Nina Petrova combattant au siège de Leningrad. Elles eurent pour nom Roza Chanina, Jénia Makeïeva, Lida Bakieva, Véra Tchouïkova, etc. L'auteur revient sur Ludmilla Pavlitchenko qui serait avec 309 ennemis tués la plus grande tireuse d'élite de l'armée rouge. Grâce à un argumentaire imparable et une confrontation de sources sérieuse, Liouba Vinogradova démontre que le palmarès de Ludmilla fut monté de toute pièce par le pouvoir en place et qu'elle ne fut qu'une marionnette en ses mains.
Leurs parcours défile, Leningrad, Biélorussie, Crimée, Prusse Orientale jusque Berlin. Une guerre inhumaine, où la mort devient une banalité à laquelle on s'habitue, tout comme la faim, la saleté, la vermine, où l'ennemi est parfois dans son propre camp. Viols ou tentatives de viols des officiers, maltraitances... Témoins de crimes de guerre, de viols, sur des civils, des enfants allemands, voire des Russes ayant rejoint les Allemands systématiquement exécutés, donnant ainsi un sens à ce qu'affirmait Ilya Ehrenbourg, propagandiste de la haine, « les Allemands ne sont pas des êtres humains » « tuons-les. Si tu ne tues pas ne serait-ce qu'un allemand par jour, ta journée est gâchée. » L'une d'elles écrit « la haine était notre soutien, rien d'autre n'aurait pu nous faire tenir ». 

A la fin de la guerre celles qui furent faites prisonnières au cours du conflit par les Allemands puis libérées par l'armée rouge furent considérées comme des traitres ayant préféré se rendre plutôt que de se battre. Lors de sa libération la pilote Anna Egorova, qui avait été abattue près de Varsovie et présentait de graves brûlures et des fractures causées par sa chute passa par un camp de triage et, bien qu'elle tienne à peine debout « et que la fine pellicule de peau qui recouvrait ses brûlures se craquelait et laissait suinter le sang. » Le commandant du Smerch ne l'autorisa pas à s'asseoir. « Il traita l'aviatrice libérée de captivité de « berger allemand ».

Liouba Vinogradova suit le destin tragique, véritablement hors du commun, de jeunes filles blessées par la guerre, tireuses d'élite émérites, mais aussi pilotes de chasse ou de bombardier accomplies. Le livre est dur et montre, par l'exemple, qu'il n'exista pas d'égalité entre hommes et femmes au front. Ce qui ne veut pas dire que certaines femmes ne surent pas se défendre et s'imposer. Il montre aussi que la haine ne fut pas le fait seul de la barbarie nazie, mais aussi celle de l'autre dictature que fut l'URSS de Staline et dont les armées commirent les pires crimes sur le sol allemand.

L'auteur nous offre encore un merveilleux livre, qui, parfois, peut paraître décousu, mais, pour autant, est un témoignage capital dans la compréhension d'un conflit encore si présent dans nos mémoires.


VINOGRADOVA (Liouba), Les Tireuses d'élite de l'armée rouge, Paris, éditions Héloïse d'Ormesson, Paris, 2018, 384 pages 23 euros

mercredi 1 août 2018

LIVRE : LAST RIDE OF THE VALKYRIES par Jimmy L. Pool (mots clés : Allemagne, Reich, helferinnen, wehrmacht, seconde guerre mondiale)

 Avouons le, nous sommes quelque peu passé à côté de ce bel et gros ouvrage (21,6 x 3,2 x 27,9 cm) tout en couleur sur les uniformes, les insignes, l'organisation et l'histoire des auxiliaires féminines de la Wehrmacht (Wehrmachthelferinnenkrops) durant la seconde guerre mondiale. L'ouvrage magistralement construit s'appuie sur une étude diligentée par le lieutenant colonel Mary L. Milligan de l'armée américaine, entre 1945 et 1954, sous le vocable de Personnel and administration project, et rédigée par August Schalkhaueuser. La finalité de ce travail étant une étude détaillée sur l'utilisation des allemandes au cours de la seconde guerre mondiale. En 1957, Mary L. Milligan prendra la direction du United States Women's Army Corps (WAC). 

 

Près de 400 000 allemandes serviront dans la Heer (armée de terre), la Luftwaffe (armée de l'air) et la Kriegsmarine (armée de mer) tout au long du conflit. Mais notre propos n'est pas ici d'en faire l'étude. Sur près de 304 pages l'auteur Jimmy L. Pool passe en revue chaque armée et chaque service en détail. Le texte est riche, bien documenté, les images inédites à 90 %, proviennent pour partie de collections privées dont celle, incroyable, de Patrick Ott. Photos d'époque, uniformes rares, insignes, pièces d'uniforme, documents d'identité provenant des meilleures collections (Europe et Amériques) illustrent ces pages et son propos.



Sont ainsi passées en revue les Nachrichtenhelferinnen des Heeres, les Stabshelferinnenschaft, les Truppenhelferinnen, les Betreuungshelferinnenschaft pour l'armée de terre ; les Luftnachrichten-Helferinnenschaft, les Luftnachrichtenbetriebshelferinnen, les Flackwaffen-Helferinnen Korps pour l'armée de l'air ; les Marinehelferinnen pour la marine. Enfin, les filles du RADwj (filles du Reicharbeitdienst servant dans des unités de l'armée) ainsi que celles de la Wehrmachthelferinnen Korps (corps fondé en 1944 et sensé englober l'ensemble des services féminines de l'armée) ne sont pas oubliées.



Cette étude uniformologique très poussée complète à merveille les travaux de Franz W. Seidler (Blitz Mädchen), ceux d'Eric Lefèvre sur les auxiliaires féminines de la Luftwaffe (Militaria magazine n° 161 et 162) et sur celles de la Heer (Militaria magazine n° 165 et 166) ou plus récent encore ceux de Johannes Schweizer sur le Betreuungsdienst des Heeres (Militaria n° 374).


POOL (Jimmy L.), Last ride of the valkyries, Schiffer military history, 2016, 304. p 79,99 $

dimanche 29 juillet 2018

LIVRE : JEANNE DE BELLEVILLE LA TIGRESSE BRETONNE (Mots-clés : Bretagne, Moyen-Age, guerrière, femme pirate, amazone)

 
Philippe le Bel mort, lui succèdent ses trois fils puis, du fait en particulier de l’affaire de la Tour de Nesle, la couronne revient en 1294 à Charles IV de la branche de Valois, issue du frère de Philippe le Bel. Philippe VI de Valois, fils de Charles IV, monte sur le trône en 1328 et y reste jusqu’en 1350. Depuis l’époque d’Aliénor et de Ricard Cœur de Lion, les prétendants au duché de Bretagne sont généralement sous l’influence anglaise avec parfois un compétiteur qui essaie de s’appuyer sur le roi de France. 



Le duc Jean III meurt en 1341 et sa succession est réclamée par Jeanne de Penthièvre petite-fille du duc Arthur II et de sa première épouse ainsi que par Jean de Montfort fils d’Arthur II et de sa seconde épouse Yolande de Dreux (anciennement reine d’Écosse). Notons qu’Arthur II est mort en 1312, non pas à seulement cinquante ans comme le dit wikipédia mais à l’âge respectable pour l’époque de cinquante ans. Par ailleurs Élie Durel, aurait mérité d’être plus clair dans une partie de sa présentation des choses. En effet il écrit « Jean de Monfort a respecté la loi salique », disposition qui évidemment ne s’applique qu’à la couronne de France (et encore tardivement) et n’a jamais régi les successions à la tête des duchés et comtés du royaume de France ni celles à la direction d’autres pays (dont évidemment l’Écosse, ce que Jean de Monfort ne peut ignorer). 

Charles de Blois est l’époux de Jeanne de Penthièvre alors que Jean de Montfort s’est marié à Jeanne de Flandre. Le conflit breton, qui les met en scène, va durer de 1341 à 1364 et va donc prendre pour nom "La guerre des deux Jeanne". C’est là que du Guesclin commence, en prenant le parti français de Jeanne de Penthièvre, à s’illustrer en prenant en particulier en 1354 le château du Grand-Fougeray, y gagnant le surnom de "Dogue noir de Brocéliande". Plus tardivement il combattra d’abord contre Olivier V de Clisson puis à ses côtés lorsque ce dernier se ralliera au roi de France alors que la Guerre de succession de Bretagne est terminée depuis 1364 et ceci au profit du fils de Jean de Montfort qui devient duc sous le nom de Jean IV. 

Olivier IV père d’Olivier V, choisit le camp de Charles de Blois et du roi de France, toutefois ce dernier reçoit des indices comme quoi Olivier IV aurait passé des accords secrets avec le roi d’Angleterre. Élie Durel, en s’appuyant sur Froissart, raconte très bien l’origine des soupçons, la traîtrise qui permet d’arrêter Olivier IV et les conditions ignominieuses faites à son corps. Il ajoute une pincée de romanesque autour de manœuvres ourdies par William de Salibury et le roi Édouard III pour laisser croire qu’Olivier IV a servi leurs intérêts en certaines circonstances et trahira à l’avenir Philippe VI (pages 126-129). Notons que si ce dernier condamne Olivier IV, ce seigneur breton est réhabilité en 1360 par Jean le Bon fils de Philippe VI. 

Jeanne de Belleville, image du XIXe siècle absente du roman d’Élie Durel


Jeanne de Belleville, veuve d'Olivier IV, a des origines poitevines que l’on aurait aimé voir explicités, elle fait jurer à ses fils Olivier et Guillaume de venger leur père. Elle consacre sa fortune à lever tout d’abord une armée pour assaillir les troupes de Charles de Blois puis, en difficulté sur terre, décide de combattre sur mer en prenant, selon notre romancier, l’exemple légendaire d’Alfihld la Viking rapportée dans la Geste des Danois (un chef d’œuvre de la littérature médiévale). On a pu d’ailleurs découvrir, en visitant en 2018 l’exposition sur les Vikings au château de Nantes, que des femmes scandinaves prirent effectivement la direction d’expéditions guerrières.

Elle fait armer trois navires, dont un appelé  "Ma Vengeance" et accompagnée de ses deux fils, mène une guerre de course contre les bateaux de commerce français. C’est près de Caen en 1343 qu’elle dirige sa première attaque. Toutefois des vaisseaux du roi de France s'emparent des navires de Jeanne de Belleville qui, heureusement par ruse, parvient à s'échapper avec ses deux fils. Réfugiée en Angleterre, elle épouse en 1349 Walter de Bentlley lieutenant d’Édouard IIII. Dix ans plus tard elle décède en Bretagne, selon ce récit (mais les historiens hésitant entre Hennebont et un château en Angleterre). On est trois ans après la bataille de Poitiers et un peu plus de quatre-vingt ans avant la mort de Jeanne d’Arc. 

En 1868, le roman en vers de l'écrivain français Émile Péhant Jeanne de Belleville est publié en France. Sorti, huit ans avant sa mort, et écrit par un natif de Guérande, au plus fort du mouvement romantique français, ce récit porte de nombreux détails rapportés plus par la légende que l’Histoire. 

Voici un extrait de l’ouvrage :

« Si Dieu ne trompe point demain mon espérance,
Demain se lèvera le jour de la vengeance.
Pardonne mon retard, pauvre époux adoré ;
Tu le sais, mon seul crime est d’avoir ignoré.
Mais le retard n’a fait qu’accumuler ma haine
Tremblez, lâches, tremblez, car la mesure est pleine :
Le châtiment sur vous est enfin suspendu.
Et vous ne perdrez rien pour l’avoir attendu… ».

Plusieurs ouvrages en langue anglaise ont consacré celle qui est appelée outre-Manche The Lioness of Brittany. Voir aussi la vidéo en français ici : 

 https://www.youtube.com/watch?time_continue=15&v=KldxxCYEVlQ

ELIE DUREL, Jeanne de Belleville, la tigresse bretonne, éditions Ancre de marine, 2018   22 €


Alain CHIRON