mercredi 11 septembre 2019

LIVRE : LES FEMMES DANS LA GRANDE GUERRE de Christophe Thomas (Mots-Clés : ouvrières, infirmières, mobilisation, première guerre mondiale, marraines, prostitution, agricultrices)

Nous avons reçu cette semaine, Les Femmes dans la Grande Guerre de Christophe Thomas paru aux éditions OREP dans la série collection 1914-1918.

Ce petit ouvrage de 33 pages à l'agréable format (17 x 24 cm.), retrace le parcours des femmes de la mobilisation qui « marque un tournant aussi soudain que brutal dans la vie des couples » jusqu'à la victoire de 1918 qui ne bouleverse pas, comme beaucoup l'affirment encore aujourd'hui, le rôle et le statut des femmes. Christophe Thomas l'a d'ailleurs très bien compris, à lui de conclure « l'idée prégnante que l'émancipation des femmes s'est opérée lors de la première guerre mondiale est donc à prendre avec précaution. S'il est incontestable que les inégalités s'amenuisent, elles restent bien présentes socialement, économiquement et juridiquement ». 



Tout d'abord, l'ouvrage, bien documenté,  expose l'appel fait aux femmes « debout femmes françaises (…) ! Remplacez sur le champ du travail ceux qui sont sur le champ de bataille », puis il présente et développe certaines catégories sociales qui se créent ou croissent avec la guerre comme les marraines de guerre et les prostituées.

L'effort de guerre féminin, le plus visible, prend la forme des agricultrices, des ouvrières, des infirmières et autres femmes impliquées dans les œuvres de bienfaisance.

 Sujet qui a la faveur des historiens depuis peu, le rapport des femmes avec l'ennemi est développé dans un chapitre. En outre, des focus viennent rythmer les 33 pages du livre : Marie Curie, Sarah Bernhardt, la controversée Marie Marvingt alias « Marie casse-cou », etc.

Ce livre, disons le simplement, est parfait.

Axée à 99% sur les Françaises nous regrettons tout de même que l'iconographie, des plus intéressante, soit souvent étrangère. Sa provenance, l'Historial de la Grande Guerre de Péronne, dévoile la richesse du fonds de ce musée.

Un petit ouvrage que nous vous conseillons et que le prix des plus attractif (5,7 €) rend encore plus sympathique.


 THOMAS (Christophe), Les Femmes dans la Grande Guerre, Bayeux, OREP, 2019

mercredi 28 août 2019

LIVRE : SORCIERES LA NUIT FURIES LE JOUR, aviatrices russes 1941-1945 de Martine Gay (Mots-clés : Russie, aviation, aviatrice, guerre patriotique)

 
Avec Sorcières la nuit furies le jour, Martine Gay, auteur et aviatrice, propose ici de nous faire découvrir, dans la série Femmes dans un ciel de guerre, les aviatrices russes de la seconde guerre mondiale. L'ouvrage est bien mené, une approche de l'aviation russe de l'avant guerre nous ouvre les portes du sujet avec un long arrêt sur le « vol du Rodina », raid aérien féminin sans escale de Moscou à l'extrême Orient, mené de main de maître  par Valentina Grizodoubova, Denissovna Ossipenko et Marina Mikkhailovna Raskova. Raid réalisé en 26 heures 29 minutes sur une distance de 6 450 kilomètres en suivant l'itinéraire et de 5 947 kilomètres en ligne droite. Exploit que félicitèrent Staline et Molotov.



Puis on entre dans le vif du sujet avec la guerre contre l'Allemagne et la formation de trois régiments féminins d'aviation :

586e régiment de chasse « faucons » ;
587e régiment de bombardement en piqué « furies du jour » ;
588e régiment de bombardement de nuit « sorcières de la nuit ».

Outre l'historique de ces trois régiments, Martine Gay présente plusieurs femmes pilotes ayant appartenu à certains de ces régiments comme Galina Brok Beltsova (587e régiment) ou Irina Rakobolskaya (588e régiment). Sont aussi abordées d'autres figures comme l'arménienne Rosa Tachat Abrahamyan pilote de chasse au 586e régiment d'aviation. Un bref chapitre relate les rapports entre les « sorcières de la nuit » et les français libres de l'escadrille « Normandie-Niémen ».

Notons qu'il s'agit ici du troisième livre paru en langue française, depuis 1993, sur les femmes pilotes russes de la seconde guerre mondiale. En effet, en 1993 était publié Les Sorcières de la nuit de Bruce Myles traduit de l'anglais par Pierre Saint-Jean. Plus surprenant, en 2005, Valérie Bénaïm (celle de la télé !) et Jean-Claude Hallé pondaient le roman La Rose de Stalingrad. « Roman-document » retraçant l'histoire véridique de Lily Litvak pilote de chasse à seulement 19 ans.



Au regard de ces deux précédents ouvrages, que nous apporte l'ouvrage de Martine Gay ? Tout d'abord une belle iconographie souvent inédite parfois provenant du musée de l'Air et de l'espace, ensuite des focus sur des pilotes peu connues, enfin des témoignages nouveaux puisque récupérés en Russie auprès des vétérantes.

Un livre intéressant et complémentaire que nous conseillons.


Martine Gay, Sorcières la nuit, aviatrices russes 1941-1945, éditions JPO, 2018 (19,90 €)

mardi 27 août 2019

Nouveautés livres : Valérie André par Martine Gay et Une section d'ambulancières au Tonkin, 1947-1950, par Claude-Jean Blanchard (Mots-Clés : guerre d'Indochine, ambulancières, ambulance, convoyeuse)


L'auteur de Valérie André : seule à bord pour sauver des vies !, Martine Gay, a le mérite d'avoir rencontré Valérie André « ventilateur », ainsi que nombre de ceux qui l'ont côtoyée à l'époque, comme le médecin-colonel Hantz ou le capitaine Santini. Pour autant, le livre, qui aurait pu merveilleusement compléter ceux publiés par Valérie André, en 1954, Ici Ventilateur ! et Madame le Général, en 1988, est confus, avec de longues digressions sur l'Indochine ou des personnages comme l'amiral Ernest Fauque. Certains diraient sans doute « hors sujet » ou trop de redondances. Ce que l'on aurait aimé c'est davantage de récits inédits sur Valérie André.
Une chose est certaine l'auteur y a mis tout son coeur, et c'est tout de même le plus important.



Martine Gay, Valérie André : seule à bord pour sauver des vies !, éditions JPO, 2019 (19,90 €)

Un autre ouvrage, de Claude-Jean Blanchard, Une Section d'ambulancières au Tonkin, 1947-1950, aborde lui aussi le sujet des femmes dans la guerre d'Indochine. Ce premier tome, car il y en aura un deuxième, présente Aline Lerouge (1908-1950), au destin tragique, chef charismatique de la section des ambulancières du Tonkin, ainsi que Marguerite Helluy (1920-2009), autre ambulancière exceptionnelle qui fit quatre séjours consécutifs en Indochine. Les parcours commencent avec l'engagement de la seconde guerre mondiale, s'arrêtent longuement sur l'Indochine et pour Marguerite Helluy se termine en Europe. 

 

L'auteur, Claude-Jean Blanchard, né à Aurillac en 1936, ancien enseignant de l'enseignement public secondaire, administrateur du musée militaire de Périgueux depuis 1971, a réalisé là un extraordinaire travail de recherche : bien documenté, bien construit, fourmillant d'informations nouvelles, d'une parfaite bibliographie et d'une riche iconographie.

Ce merveilleux livre, il faut le souligner, est disponible exclusivement chez Amazon, pour une somme modique.

Claude-Jean Blanchard, Une Section d'ambulancières au Tonkin, 1947-1950, auto-édition, 2019 (9,36 €)

PAROLE A : Frédéric PINEAU (mots-clés : femmes militaires, guerrières, amazones, infirmières, croix-rouge)

  
 Qui est derrière ce blog ?
C'est un blog que j'ai créé il y a une dizaine d'années dans l'optique de faire la promotion de mes livres et de faire partager ma passion des femmes militaires. Au départ nous devions être deux ou trois, mais grâce à cette ouverture sur le monde due à internet des personnes se sont proposées pour écrire sur le blog. Soit nous signons de nos propres noms ou nous prenons des pseudos en fonction, et parfois pas de signature. Je suis le rédacteur en chef de ce blog.

Comment et pourquoi vous êtes-vous spécialisé sur le sujet des femmes dans la défense nationale et aux armées ?
Mon amour pour le sujet remonte à mes jeunes années où je m'intéressais à la l'histoire militaire et particulièrement à la seconde guerre mondiale. Je devais avoir entre 18 et 19 ans.
Dans les livres que je lisais sur la seconde guerre mondiale, de l'histoire bataille pour l'essentiel, il n'était pratiquement jamais fait référence aux femmes, les seules références trouvées étaient de rares photographiques ou quelques lignes les évoquant, mais guère plus. La curiosité m'a piqué, j'ai donc essayé de trouver des informations sur ces femmes dont on parlait peu. J'ai trouvé d'abord un premier livre Femmes militaires de Raymond Caire qui reste une référence en la matière. Dans ce livre, il y avait une riche bibliographie et pour approfondir le sujet, je me suis mis à rechercher les livres de cette bibliographie. Il ma fallait tous.

 

Étiez-vous bon en Histoire ?
Oui, très bon élève dans cette matière. Mon goût pour l'histoire c'est affermi grâce à mon frère qui était en fac d'histoire, grâce aux films qui passaient à la télévision, aux les livres qui trainaient à la maison, aux récits que me faisait ma mère sur Jeanne d'Arc ou bien Marie-Antoinette. Par ailleurs, nous avons un fort passé militaire dans la famille (Grande Guerre, seconde guerre mondiale, guerre d'Indochine et guerre d'Algérie, pour les guerres les plus récentes).

Comment vous documentez-vous pour le blog ?
Je me sers de mes propres archives et compare, et lorsque je le peux, je me rends dans les bibliothèques, les photothèques, les archives, etc.

Quel est votre parcours professionnel ?
Études en arts plastiques, j'ai travaillé un temps comme illustrateur. La faculté (Deug, Licence, maitrise et DEA en Histoire). Sans oublier un master en ingénierie documentaire aux Arts et Métiers. Pour résumer je suis historien et documentaliste. Et depuis, je travaille dans le domaine de l'information documentation et suis également auteur de beaux livres sur l'histoire des femmes et la Croix-Rouge française.

En quoi consiste votre collection ?
Certains parleraient de collection, mais je préfère le terme d'archive. Parce que je suis plus dans l'intention de conservation et de construction que dans une collection qui serait juste un amoncellement. L'objectif est de mettre en valeur ces différents objets pour qu'ils soient transmissibles sous une forme unique et non mercantile. En résumé c'est une collection intelligente qui se construit, s'emboîte petit à petit, pour former un ensemble cohérent et transmissible. J'apporte par ailleurs un intérêt tout particulier à se conservation préventive et curative. Ma collection se consacre aux femmes dans la défense nationale et en temps de guerre bien entendu. Mon objectif actuel lui trouver un écrin.

 

Avez-vous déjà rencontré des femmes en uniforme ?
Une bonne centaine depuis que je m'intéresse au sujet : deux guerres mondiales, guerres d'Indochine, de Corée, d'Algérie, occupation de Allemagne, etc. La première que j'ai rencontrée m'a pris au sérieux, car je connaissais le nom de toutes ses amies et l'histoire de sa formation automobile. Nous avions discuté comme deux vieux vétérans. Il y a bien longtemps. Les dernières rencontrées sont des PFAT des années 1970.

À quelle femme de l'Histoire pourriez-vous vous identifier ?
À Edmée Nicolle, la fondatrice des Sections sanitaires automobiles féminines en 1939, par son caractère volontaire, qui n'hésitait pas à bousculer ce qui était en place pour arriver à ses fins. Elle a réussi à faire tout ce qu'elle voulait. Une belle longévité 103 ans à son décès. J'ai eu la chance de discuter avec elle.


Quelle femme de l'Histoire vous a le plus marqué ?
Jeanne d'Arc. Une adolescente, jeune bergère qui transforme l'Histoire de France, bouleverse les règles et les interdits de l'époque, arrive à s'imposer aux grands par la foi, sans jamais tuer personne.
Je ne me suis pas spécialisé sur son sujet, car il a été moult fois étudié. C'est la figure tutélaire, parce que c'est la mère de toutes ces femmes qui ont servi durant les guerres. Au surplus, elle est la patronne des infirmières.


Cette passion est-elle chronophage ?
Elle le fut par le passé, car en revenant de chine, j'étudiais chaque photo, chaque insigne. Mais ce ne fut pas du temps perdu.

Avez-vous une passion autre que les femmes en uniforme ?
J'ai de multiples passions qui sont les livres, l'ethnologie, les châteaux, les sujets étranges comme la cryptozoologie, les contes et légendes, les parlers, les livres de cuisine, la nature, la vénerie, etc.

De quels livres êtes-vous l'auteur ?
Livres historiques, participation à d'autres livres en tant qu'auteur ou comme iconographe.
6 livres et nombre de participations : Femmes en guerre, tomes 1 et 2 ; Les Femmes au service de la France ; La Croix-Rouge française, 150 ans d'histoire ; Les Linh Tap, etc.

Quel est votre lectorat ?
Pour le blog : il est assez varié : beaucoup de passionnés de l'histoire des femmes en général et des femmes en uniforme en particulier ; les curieux ; les contacts ponctuels pour des conseils, journalistes, écrivains, étudiants, collégiens, etc.
Pour les livres : Essentiellement des collectionneurs, des historiens, des passionnés, les bibliothèques, les descendants de femmes des deux guerres mondiales, d'anciennes militaires et Croix rouge.

Quel a été votre plus beau succès en librairie ?
Mon livre paru pour les 150 ans de la Croix-Rouge française aux éditions Autrement, 10 000 exemplaires, véritable succès de librairie pour un beau livre (livre de grand format, illustré en couleurs, équilibre texte et images, fait pour être regardé et lu). Je crois qu'il en reste moins de 200 exemplaires.

Avez-vous déjà été conseiller pour un évènementiel ?
Oui, pour le théâtre et le cinéma, mais aussi pour les musées.

Seriez-vous disposé à animer des sujets historiques pour des écoles ou autres ?
Oui, je pourrais présenter mes livres, parler des sujets relatifs aux deux dernières guerres mondiales, présenter des objets d'époque pour rendre l'Histoire plus vivante et concrète. Je demeure ouvert à toute proposition intéressante, mais, il faut le dire, je ne travaille pas gratuitement.

Un dernier mot ?
Je suis ravi d'avoir exposé en quelques questions et quelques lignes ce qui a orienté ma passion et mon amour pour les femmes qui ont participé aux différents conflits ayant jalonné l'histoire de France de la guerre de 1870-1871 jusqu'à la guerre du golfe.



lundi 26 août 2019

SUJET : Des femmes guerrières sur les drakkars (Mots-clés : viking, drakkar, guerrière)

Les pages documentaires placent l’action à la fin du Ve siècle, soit bien avant les premières attaques vikings dans les îles britanniques ou l’empire franc. En effet, ces raids n’ont lieu qu’à partir de 787 (avec Portland, une île du sud-ouest de l'Angleterre) dans le domaine insulaire et de 799 en Aquitaine pour le continent.

Dans ces mêmes feuilles d’introduction, il est écrit que :

« Semblable à de nombreux codes antiques dont la loi salique des Francs survivra jusque sous Charlemagne, cette loi ordonne que seul le garçon aîné d’une fratrie hérite de son père, du paysan jusqu’au roi, ceci afin d’éviter le partage du pouvoir et des terres, ainsi que l’éparpillement du patrimoine familial, fut-il modeste ou princier ».



 C’est la première fois que je vois mentionné cette explication et, malgré mes recherches dans de nombreux ouvrages sur ces hommes du nord, je m’avoue incapable de la confirmer ou de l’infirmer. Pierre Bauduin, dans son remarquable livre Histoire des Vikings : Des invasions à la diaspora, paru en 2019 chez Tallandier, va chercher dans la littérature noroise, les portraits de certaines femmes au destin exceptionnel qui commandent des drakkars. On relève, page 184 de cet ouvrage, que :

« Des récentes découvertes archéologiques, telles que la figurine d’Hårby (Fionie), ou la présence d’armes dans les tombes féminines, ou les restes de "guerrières viking" dans l’une des tombes de Birka (Bj 581) suggèrent que la femme guerrière bien illustrée par les textes ne saurait être confinée uniquement dans une fiction littéraire et au monde surnaturel ». 



 Dans ces sagas, le personnage de la sorcière est assez présent et, dans la bande dessinée Alwilda, l'héroïne, affronte tant la sorcière Erika qu’un groupe de guerriers danois, commandés par Alf Krügger-le-cruel, qui arrivent sur leur drakkar. Notre héroïne Alwilda s’est faite pirate et son équipage est exclusivement féminin ; son titre de walkyrie elle le gagne en maniant l’épée et la hache. Des pages sont aussi consacrées à la construction du village côtier qui sert de refuge à Alwilda et ses compagnes, ainsi quà la vie quotidienne qu’elles y mènent. Le graphisme est très réaliste et les combats ne prennent pas des allures trop sanglantes, on a par contre pas mal de vignettes avec des corps de femmes largement dénudés. Alwilda (ou Avilda) n’est pas un personnage historique et elle n’apparaît que dans les légendes nordiques du XIIIe siècle. On trouve un dessin animé pour enfants qui évoque Alwilda, avec un contenu bien plus sobre que celui de cette bande dessinée :

https://www.youtube.com/watch?v=0953gVYf5EQ


Alwilda, La pirate de la Baltique, tome 2, Jean-Yves Mitton, Original watts, 2019, 64 pages 


Alain CHIRON

jeudi 13 juin 2019

Parole à : Marie-Ève STÉNUIT (Mots-clés : pirates, naufragés, guerrières, archéologie, combattants)


Pouvez-vous vous présenter pour ceux qui ne vous connaissent pas encore :


Je suis historienne de l’art et archéologue (terrestre et sous-marine), un métier qui me comble non seulement à cause de mon amour pour l’histoire, mais aussi parce qu’il permet d’alterner travail intellectuel et travail physique. Cela me semble un bel équilibre. J’ai également choisi d’écrire des romans, poussée par l’envie de raconter des histoires avec cette grisante liberté que permet la fiction, en totale opposition à la rigueur nécessaire à l’écriture scientifique. Ici aussi, au fond, c’est une question d’équilibre.

 
(Photo Raphaël Gaillarde)


Depuis quand vous intéressez-vous à l'histoire des femmes ?


Depuis que j’ai pris conscience que pendant trop longtemps l’histoire a été écrite par les hommes et que ceux-ci, afin de conserver leurs privilèges auto-proclamés ou au service de l’une ou l’autre église ou courant philosophique, ont volontairement passé sous silence les actions des femmes remarquables de leur temps, ce qui nous prive de tout un pan de notre passé. Il y a heureusement de nos jours, en Europe comme aux États-Unis, une réaction salutaire à cette confiscation et cette réduction de l’histoire.


Faites-vous une différence entre les notions d'histoire des femmes, histoire de la femme et histoire du féminisme ?

Je ne traite en réalité aucun de ces trois thèmes à proprement parler. Je m’intéresse aux femmes dans l’histoire. À ces femmes, de toutes les classes sociales et de toutes les époques, qui ne se sont pas souciées des diktats pour vivre la vie qu’elles s’étaient choisies (dans le meilleur des cas) ou pour tenter de survivre (dans le pire et le plus fréquent des cas) dans un monde où il valait mieux être né avec des attributs masculins entre les jambes si l’on voulait échapper à la médiocrité et à la misère. Les héroïnes sur lesquelles je m’attarde ne sont pas des militantes, ce sont des battantes qui n’ont pas attendu l’éclosion des mouvements féministes pour exister. Je laisse à d’autres — qui font cela beaucoup mieux que je ne le ferais — le soin de retracer l’histoire du féminisme. 

Ces différentes approches sont complémentaires et me paraissent nécessaires en ce sens qu’elles permettent de toucher un public extrêmement varié. 

Possible représentation de María de Estrada à cheval dans la suite de Cortès (Lienzo de Tlaxcala, 1552). In Sténuit, Marie-Ève, Femmes en armes. Les guerrières de l’Histoire, Éditions du Trésor, 2018. 
 
Comment choisissez-vous les thèmes de vos ouvrages ?


L’élément déclencheur est toujours l’envie de raconter. Mes cinq romans ont des sujets très différents (ce qui, commercialement, n’est pas la meilleure idée qui soit car cela nécessite de la part du lecteur une certaine souplesse d’esprit, voire un esprit aventureux). Par contre, mes trois derniers livres, aux Éditions du Trésor, traitent tous de la thématique des femmes, pour la simple raison que plus je travaille sur ce thème, plus il me paraît riche et vaste. Mais qu’il s’agisse de fiction ou de récits historiques, il est impératif que les personnages me fassent rêver, me touchent ou me révulsent et, surtout, m’emmènent dans un monde différent du mien, loin de mon quotidien. C’est ce que j’attends de la littérature en tant que lectrice, c’est ce que j’essaie de faire en tant qu’auteure.




Lorsque vous avez écrit Femmes pirates et Femmes en armes n'aviez-vous pas peur des redondances avec d'autres ouvrages existants sur ces mêmes sujets ?

C’était effectivement le piège à éviter. Il est évident que je n’allais pas consacrer un chapitre de « Femmes en armes » à Jeanne d’Arc alors qu’il existe déjà des centaines de livres extrêmement bien documentés sur le sujet.
J’ai donc délibérément choisi de m’attacher à des femmes moins ou peu familières au grand public. Non seulement pour éviter les redondances mais aussi parce qu’une partie de mon plaisir est dans la recherche préalable à l’écriture. Je suis une chercheuse, j’adore le travail en archives, que je vois comme une sorte d’enquête policière (et qui n’a pas rêvé un jour, dans son enfance, d’être détective ?) Mais bien sûr, il faut aussi tenir compte des contraintes éditoriales et, dans une mesure raisonnable, des contingences commerciales en introduisant une ou deux figures plus connues. Pour les « Femmes pirates », par exemple, j’avais dans un premier temps décidé de ne pas évoquer Mary Read et Ann Bonny que je trouvais déjà suffisamment célèbres.
C’est à l’insistance de mon éditeur que je les ai finalement incluses, en essayant de trouver une approche personnelle qui m’a donné l’occasion de rétablir quelques faits et de faire un tri dans la vaste information (de qualité diverse) qui existe à leur sujet. Et mon éditeur avait raison : dans la plupart des interviews et des commentaires de lecteurs, ce sont elles qui ressortent…

Madame Ching
 
Comment vous est venue l'idée d'un livre sur les femmes naufragées ?

Parce que l’histoire des naufrages c’est en quelque sorte mon métier. Sans naufrage il n’y a pas d’épaves, donc pas d’archéologie sous-marine. J’ai lu dans ma carrière des centaines de récits de naufrages dont il ressort que ce sont les femmes (et les enfants) qui paient le plus lourd tribut à la mer dans ces circonstances. (« Les femmes et les enfants d’abord » est un mythe, une consigne qui ne date que du milieu du 19ème siècle.) J’ai ainsi découvert de passionnants récits de survie écrits par les intéressées elles-mêmes, après des séjours mouvementés dans des zones inexplorées en leur temps, auprès de tribus africaines ou chez les aborigènes par exemple. Pour celles qui ne s’en sont pas sorties vivantes, il existe des témoignages qui relatent leurs souffrances et leurs aventures. Saviez-vous qu’il y avait une femme sur le radeau de la Méduse ? Peu de gens le savent, moins encore savent pourquoi elle était là (et on n’est même pas sûrs de son nom). Tout cela m’a paru valoir un livre en hommage à ces héroïnes malgré elles, pour la plupart oubliées.

Ann Saunders égorgeant le cadavre de son fiancé pour boire son sang. In Sténuit, Marie-Ève, Une femme à la mer ! Aventures de femmes naufragées, Éditions du Trésor, 2017.


De toutes ces femmes avec qui vous avez cheminé dans vos livres, laquelle vous ressemble le plus ?

Parmi mes personnages de fiction, c’est la narratrice de « Un éclat de vie », un petit roman dynamique et rempli d’autodérision qui repose en partie sur des expériences personnelles. Quant aux héroïnes du monde réel, celle avec qui je me sens le plus d’affinités (à l’exception de sa ferveur religieuse qui m’est tout à fait étrangère) est peut-être Mathilde de Canossa, une femme libre et grande stratège du Moyen Âge, discrète, patiente, diplomate et bigrement efficace.


La cantinière du radeau de la Méduse. Gravure de Antoine Alphonse Montfort. In Sténuit, Marie-Ève, Une femme à la mer ! Aventures de femmes naufragées, Éditions du Trésor, 2017.

 

Et laquelle vous a le plus marqué ?

J’ai toujours été émue par le parcours de Louise Antonini et de Julienne David, qui l’une et l’autre s’étaient engagées sur des frégates corsaires en se faisant passer pour des hommes, et cela après un parcours déjà extraordinairement aventureux.
Sans se connaître, elles ont vécu des destins très semblables : après que leurs navires aient été capturés par les Anglais, elles ont subi l’enfermement sur les sinistres pontons du sud de l’Angleterre. Louise a passé dix-huit mois et Julienne huit ans, dans ces prisons flottantes sans jamais songer à révéler leur véritable identité aux autorités, ce qui leur aurait permis de bénéficier de conditions d’emprisonnement plus clémentes. Elles se sont éteintes toutes les deux, à dix-huit ans d’intervalle, à l’Hôtel Dieu de Nantes, respectivement en 1861 et en 1843.

Quels auteurs vous ont le plus influencé dans votre parcours d'écrivain ?
Dans le plus grand désordre : Boris Vian, André Malraux, Stendhal, Marguerite Duras, Arundhati Roy, Joseph Conrad, Jaume Cabré, Alexandre Dumas, Arturo Pérez-Reverte, etc.






Allez-vous continuer à écrire sur les femmes, ou est-ce une parenthèse dans votre oeuvre littéraire ?

Je n’avais pas du tout prévu d’écrire plusieurs livres sur ce sujet mais plus je cherche, plus je trouve matière à raconter. J’ai du mal à résister. Après les femmes pirates, mon éditeur m’avait demandé un ouvrage sur « les aventurières ». C’est un sujet très large, sur lequel il existe déjà des centaines de publications (où l’on retrouve souvent les mêmes héroïnes, souvent des voyageuses). En voulant être moins générale et faire quelque chose de différent, j’ai abouti aux naufragées puis aux femmes en armes, pour lesquelles il y avait largement de quoi faire un volume entier (et bien plus, il m’a fallu me restreindre). 
 J’ai encore un quatrième livre en préparation sur le thème des femmes, consacré celui-ci aux « pionnières » dans des domaines aussi divers que la plongée pieds-lourds, la chasse à la baleine, l’ascension en ballon ou la découverte du parachute (mon sommaire n’est pas encore terminé...). Après cela, j’aimerais retourner à mes romans.




BIBLIOGRAPHIE

Romans

Les Frères Y, Le Castor Astral (Escales du Nord), 2005. Réédition augmentée en 2017 sous le titre : La véritable histoire des Frères Y, Le Castor Astral, 2017
La Veuve du gouverneur, Le Castor Astral (Escales des Lettres), 2007
Le Bataillon des bronzes, Le Castor Astral (Escales des Lettres), 2008
Un Éclat de vie, Le Castor Astral (Escales des Lettres), 2011
Le Tombeau du guerrier, Serge Safran éditeur, 2012

 
Récits historiques


Femmes pirates. Les écumeuses des mers, Éditions du Trésor, 2015
Une Femme à la mer ! Aventures de femmes naufragées, Éditions du Trésor, 2017
Femmes en armes. Les guerrières de l’Histoire, Éditions du Trésor, 2018

 





jeudi 6 juin 2019

LIVRE : LES FEMMES DANS LE MONDE COMBATTANT par Marianne Leclère (Mots-clés : combattantes, guerre)


Ce petit livret de 55 pages nous paressait fort prometteur, mais, l'ayant lu et parcouru, je me demande s'il était besoin de le publier, tant il en existe d'autres de bien meilleure substance.

On se pose très rapidement la question de savoir si cet ouvrage parle des Françaises ou des étrangères, ce qui n'est pas toujours très clair. Or, la collection s'intitulant Les Collections du citoyen, il nous a semblé évident que la France en est bien la cible.



L'approche générale n'est pas réellement thématique, pas tout à fait chronologique, en fait un peu brouillonne et fourre-tout, voire confuse. Approche qui est fortement féministe, comme l'attestent la biographie et la sitographie. D'ailleurs, on peut se demander ce que viennent faire des figures de la sphère féministe comme Olympe de Gouges, Hubertine Auclert, Charlotte Corday ou Flora Tristan dans un ouvrage intitulé Les Femmes dans le monde combattant. Il en est de même pour Françoise Légey dont la place se trouve dans un livre sur l'Afrique du Nord et non en ces pages.

Nous avons l'impression que ce livre est le fruit de non spécialistes ayant voulu s'affranchir des conseils d'historiens experts. A titre d'exemples, quelle surprise en page 44 de lire « on a peu d'informations sur les femmes militaires engagées dans ce conflit (le guerre d'Algérie) ». Il aurait suffi à l'auteur de lire le post que nous avions écrit sur les ouvrages consacrés aux femmes dans la guerre d'Algérie pour s'en convaincre du contraire ; page 23 l'utilisation d'une photo d'auxiliaires féminines du 3e Reich pour illustrer les Volontaires françaises de la France libre est un comble ; etc.

Alors que l'on voit s'égrener les inévitables noms de Germaine Tillon, Geneviève de Gaulle-Antonioz, Lucie Aubrac, Joséphine Baker, Marlen (avec un E) Dietrich... nous aurions aimé lire ceux d'Hélène Rodillon, d'Edmée Nicolle, d'Hélène Terré, d'Aline Lerouge, de Florence Conrad, d'Émilienne Moreau, de Jeanne Macherez, des médecins AFAT de la seconde guerre mondiale ou encore de ces femmes tombées au champ d'honneur au cours des deux guerre mondiales. Malheureusement, elles ne sont pas au rendez-vous. Pourtant, elles représentent la personnification même des « femmes dans le monde combattant ». Les livres sont là, ils parlent. Les témoignages aussi.

Au final, une vision par trop féministe (et très axée gender study) de l'histoire des femmes est souvent une histoire tronquée et « sugcée » de sa substantifique moelle.

J'invite l'auteur à parcourir les très nombreux livres sur le sujet pour se rendre compte d'une autre réalité : Héroïnes de la Grande Guerre, Femmes dans la guerre, Femmes en guerre, Les Femmes au service de la France, La femme au temps de la guerre de 14, La Femme militaire, Les Femmes dans la guerre, etc. Sans compter les récits qui se comptent par centaines pour la France seule.

Ce livre n'est pas à la hauteur de ses ambitions, et ceci est bien dommage.


LECLERE (Marianne), Les Femmes dans le monde combattant, Paris, Nane éditions, 2019 (Prix : 9 €)

mardi 21 mai 2019

LIVRE : FEMMES EN ARMES : LES GUERRIÈRES DE L’HISTOIRE de Marie-Ève Sténuit (Mots-clés : infanterie, cavalerie, Belgique, France, Angleterre, Russie, Espagne, Chine, Proche-Orient, Amérique)

 Dans l’introduction, l’auteur répond à une question essentielle : « Quelles furent les motivations de ces femmes ? La misère le plus souvent, le goût de l’aventure parfois, la vengeance dans certains cas, ou simplement l’envie d’échapper à un destin tout tracé qui ne convenait pas à leur tempérament ».
D’autre part, elle avance le cas d’« Anne Chamberlyne, fille unique d’un homme de loi londonien, qu’aucune nécessité sociale ou économique n’a poussée à suivre son frère pour participer à la bataille de Beachy Head contre les Français en 1690. Six heures de bataille navale dont elle sortit indemne… pour mourir en couches l’année suivante ».



Sont présentées dans cet ouvrage: Fu Hao, Mathilde de Toscane, Florine de Bourgogne et sœur Marguerite deux héroïnes des croisades, María de Estrada et les conquistadoras de Cortés, Philippine-Christine de Lalaing, Catalina de Erauso, Hannah Snell, Thérèse Figueur et Nadejda Dourova.
Fu Hao () fut l’une des épouses officielles de Wu Ding, le vingt-deuxième roi de la dynastie Shang ; leur tombe a été retrouvée dans la région d’Anyang au nord de la province du Henan traversée par le Fleuve jaune. Elle vécut vers 1250-1200 avant notre ère ; elle devint grande prêtresse et commandant en chef des armées. A ce titre, elle mena les troupes Shang à la victoire dans la campagne contre les tribus barbares environnantes. Ajoutons que Mulan (Huā mùlán 花木en chinois) dite la "Jeanne d’Arc chinoise" est par contre le fruit d’une création littéraire. La première version de cette légende date de la période de 420 à 589, dite des dynasties du Nord et du Sud, elle fut popularisée par Xu Wei sous la dynastie des Ming au XVIe siècle, sous une forme théâtrale.

Mathilde de Toscane est, par sa mère, la petite-fille de Frédéric III, comte de Bar et duc de Haute-Lotharingie (espace qui allait devenir la Lorraine). L’empereur Henri III se rend en Toscane et emmène Mathilde et sa mère Béatrice de Bar avec lui en Allemagne où elles restent retenues à la cour impériale durant une année, n’étant libérées que par le fait que Henri III meurt en 1056. Mathilde épouse Godefroid III de Basse-Lotharingie ou Godefroid III d'Ardenne ; dans la Querelle des investitures, elle prend le parti des papes et accueille Grégoire VII dans son château de Canossa où l’empereur Henri IV va faire amende honorable en 1077. Toutefois dans les années 1080, le conflit devient armé entre les partisans du pape et ceux de l’empereur, aussi Mathilde devient-elle stratège militaire. Notons que Mathilde « est en effet la fondatrice de l’abbaye d’Orval, située dans l’actuelle province belge du Luxembourg, où se brasse la célèbre trappiste qui fait aujourd’hui la renommée du monastère ».

Florine de Bourgogne est la fille d'Eudes I de Bourgogne et Sybille de Bourgogne, née en 1083, elle meurt en 1097, sans avoir tiré l’épée, tuée par les Turcs en Cappadoce, avec plus de mille guerriers danois dont son époux Sven le Croisé. Parmi les héroïnes des croisades, on relève le nom d’Ida de Cham, la margravine d’Autriche ; veuve de Léopold II d’Autriche, elle est présente, avec Guillaume IX d’Aquitaine (grand-père d’Aliénor), Hugues de Vermandois et Welf Ier de Bavière au tout début du XIIe siècle lorsqu’une des armées croisées est décimée à Ereğli par les Seldjoukides. Aliénor d’Aquitaine et Louis VII, son premier époux, roi de France sont présents à la seconde Croisade. « Nicétas Choniatès signale la présence dans l’armée de Conrad III de Hohenstaufen, empereur du Saint Empire romain germanique, d’un bataillon féminin composé de cavalières armées de javelots et de haches. Il est commandé par une femme à la rutilante parure, surnommée "la dame aux jambes d’or" ».

Nous avons la trace de véritables combattantes chez des chroniqueurs musulmans (et marginalement par l’archéologie), mais la seule dont on connaisse le nom et la vie aventureuse est la sœur Marguerite. La concernant des vers ont été rédigés après qu'elle eut été convaincue d’intégrer le monastère de Montreuil-sous-Laon. En 1301 des dames génoises se sont portées volontaires pour aller reconquérir la Terre sainte, vidée de toute présence latine depuis dix ans ; elles se sont faites fabriquées des cuirasses adaptées pour cela, mais celles-ci n’ont jamais servi. 
Le 5 octobre 1581, le siège de Tournai commence. Les habitants de la cité sont passés majoritairement à la Réforme accueillant des protestants wallons sujets à persécutions. Philippine-Christine de Lalaing, en l’absence de son mari gouverneur de la ville, va défendre Tournai face aux Espagnols commandés par Alexandre Farnèse. 
 
Autre figure, celle de Catalina de Erauso qui connaît une vie aventureuse dans les colonies espagnoles d’Amérique au début du XVIIe siècle, tuant notamment en duel un nombre non négligeable de personnes.

On poursuit avec Hannah Snell : « Le 27 novembre 1745, désormais sans revenus, sans époux et sans enfant, Hannah Snell, âgée de 22 ans, emprunte un costume à son beau-frère et, s’attribuant également son identité, se rend à Coventry pour s’engager dans le 6e régiment d’infanterie de Warwick (le célèbre « Sixth » du colonel John Guise) sous le nom de James Gray ».

Passons à Thérèse Figueur qui n’est autre que la véritable Madame Sans-Gêne. Elle n’a pourtant rien à voir avec la truculente Maréchale Lefebvre, que Victorien Sardou a choisi, au mépris de l’Histoire, de populariser dans une pièce. La nôtre est une Bourguignonne née le 17 janvier 1774 à Talmay et morte le 4 janvier 1861, à l’hospice des Petits-Ménages dans le 7e arrondissement de Paris. Officiellement cantinière, elle combat à plusieurs occasions dans les guerres de la Révolution et de l’Empire.

Plus à l'est, Nadejda Dourova est la première femme officier de cavalerie russe. En 1807, alors qu’elle est âgée de vingt-quatre ans, elle s'habille en garçon et, sous le pseudonyme d'Alexandre Sokolov, combat les armées napoléoniennes jusqu’à la fin 1812. 
 
Nous parcourons agréablement ces récits hauts en couleurs, qu'un carnet central accompagne d'illustrations peu connues, variées et bien choisies.
 

STENUIT (Marie-Ève), Femmes en armes : les guerrières de l’histoire, éditions du Trésor, 2019, 187 pages

Alain CHIRON


LIVRE : FEMMES PIRATES : LES ÉCUMEUSES DES MERS de Marie-Ève Sténuit (Mots-clés : pirates, corsaires, France, Angleterre, Chine)

 « Marie-Eve Sténuit est née à Uccle, une commune de Bruxelles, le 15 mars 1955. Elle a étudié l’Histoire de l’Art et l’Archéologie à l’Université Libre de Bruxelles, ville où elle réside principalement aujourd’hui. Elle exerce la profession d’archéologue et d’écrivain. Ses activités scientifiques l’ont conduite pendant plus de vingt ans en Syrie, chaque année. Elle est également co-directrice du GRASP (Groupe de Recherche Archéologique Sous-Marine Post-Médiévale) créé par son père, Robert Sténuit. Elle séjourne régulièrement en Indonésie, sur l’île de Bali, par amour pour l’art et la culture... » (Source : IGGY Book)

L'auteur (DR)


De l’introduction de Femmes pirates : les écumeuses des mers, on retiendra particulièrement :
« Les femmes qui sont entrées en piraterie y sont venues pour les mêmes raisons que les hommes : la cupidité ou la misère, la soif d’aventures, la fuite d’un monde trop étroit pour leurs expectations. (…) . Dans la majorité des cas, les femmes pirates ont mené leur carrière dans l’anonymat, sous des noms d’emprunt et dans des habits d’homme. En piraterie comme ailleurs, le genre féminin fut bien souvent un handicap ».





L’ouvrage de Marie-Eve Sténuit évoque donc longuement plusieurs destins de femmes pirates qui opérèrent en divers océans : Alfhilde de Gotland, Jeanne de Belleville, Lady Killigrew, Mary Read, Anne Bonny, Rose Bregeon, Louise Antonini, Julienne David, Chingh Yih Saou, Laï Cho San, Marie-Anne Dieuleveult, Maria Cobham, Mesdames Pease n°1 et Pease n°2.

D’autres figures émergent avec des développements plus courts dont l’un rappelle le sort tragique des boat-peoples vietnamiens à la fin des années 1970.

Par ailleurs, certaines d’entre-elles ont été prétextes à des fictions comme Jeanne de Belleville (un roman historique par Élie Durel, publié en 2018) ou Chingh Yih Saou soit en pinyin Cheng I Sao et avec les idéogrammes 鄭一嫂 (une BD en six tomes Shi Xiu, reine des pirates, parue tout au long des années 2010). Cette dernière est le personnage principal du film, sorti au cinéma en décembre 2004, En chantant derrière les paravents du réalisateur italien Ermanno Olmi.

Alfhilde de Gotland est une femme légendaire (et l’auteur ne prend pas le risque de dater les aventures qui auraient pu arriver à cette Scandinave) qui n’est historiquement évoquée que dans une source unique tardive du XIIIe siècle, la Gesta Danorum du moine Saxo Grammaticus. Le récit de la vie de cette princesse rappelle qu’il y avait des combattantes sur les drakkars. « En 885, lorsque plus de sept cents bateaux remontèrent la Seine jusqu’à Paris, mille femmes environ se trouvaient parmi les guerriers ». D’autre part, on sait que « des Skoldjmoer ou vierges au bouclier combattirent sur mer à la bataille de Bravalla qui opposa, vers 735, les grands chefs danois et suédois ».

Jeanne de Belleville est une femme originaire du Bas-Poitou qui a épousé le Breton Olivier IV de Clisson. Sur ordre du roi de France Philippe V, le mari de Jeanne de Belleville est tombé dans un piège et a été traîtreusement exécuté. Cette dernière arme trois navires afin de s’attaquer aux bateaux de commerce français. On est alors à l’époque de la guerre des deux Jeanne, un conflit de succession , touchant le duché de Bretagne, qui dure de 1341 à  1364, alors que Jeanne de Belleville est du côté du prétendant soutenu par les Anglais, du Guesclin réalise ses premiers exploits guerriers dans le camp adverse. « Au grand maximum, son activité de pirate a duré un an, de l’automne 1343 à fin 1344, probablement moins, mais ces quelques mois suffirent à la faire entrer dans l’Histoire ».

Lady Killigrew, Mary Read, Anne Bonny sont des Anglaises qui vécurent au XVIIe ou au début du XVIIIe siècle. La première fut sûrement plus receleuse que pirate. La seconde avait été soldat dans l’armée britannique lors de la guerre de Succession d’Espagne, avant de devenir pirate aux côtés d’Anne Bonny dans l’équipage de John Rackham. Rose Bregeon, native de Saint-Malo, fut corsaire dans les années 1770. Louise Antonini était la fille d’un patriote corse qui avait combattu aux côtés de Pascal Paoli (figure de l'indépendance Corse) ; corsaire, elle est faite prisonnière aux Antilles par les Anglais. Après un séjour forcé au Royaume-Uni, elle rentre en France et devient soldat des armées de la Révolution et de l’Empire. On voit à travers ces exemples que se côtoient des figures connues et d’autres sorties de l’ombre.

On apprécie que le cas de deux Chinoises soit évoqué, Chingh Yih Saou et Laï Cho San. Ces deux-là opérèrent à un siècle de distance et la seconde a servi de modèle pour la Femme dragon, l'un des personnages de la série Terry et les pirates de Milton Caniff. L’iconographie est limitée à des cartes géographiques permettant de voir dans quel secteur maritimes agirent ces femmes pirates ou corsaires.

STENUIT (Marie-Ève), Femmes pirates : les écumeuses des mers, éditions du Trésor, 2015, 185 pages.

Alain CHIRON

samedi 13 avril 2019

LIVRE, LE PEROU S'INVITE : FEMMES EN ARMES, itinéraires de combattantes au Pérou (1980-2010) de Camille Boutron (Mots-clés : Pérou, Combattantes, terrorisme, guérilla, lutte armée)

Les actions du mouvement péruvien dit du Sentier lumineux et celles du Mouvement révolutionnaire de Tupac Amaru (MRTA) ont bien souvent fait l’actualité des années 1980 à l’an 2000. Au MRTA, fondé en 1982, on doit en particulier la prise d’otages à l’ambassade japonaise de Lima où 500 personnes furent retenues, les dernières étant libérées quasiment deux mois après leur incarcération. Lors de l’assaut final, tous les membres du commando du MRTA ont trouvé la mort, y compris ceux qui se rendaient.



L’autre mouvement politico-militaire étudié est donc le Parti communiste péruvien Sentier lumineux (PCPSL) qui est d’inspiration maoïste et guevariste et descendant du Parti communiste péruvien (PCP). Il entre en lutte armée en 1980. La majorité de ses membres abandonnera la lutte armée qu’au milieu des années 1990. Repliés dans une partie de la jungle péruvienne, au sud-est du pays, un petit nombre d'entre-eux continue toutefois la « lutte armée ». Ainsi, en juin 2018 quatre policiers sont tués dans une embuscade, tandis qu'une autre attaque, non loin de Lima, cause six blessés parmi les membres d' un comité d’auto-défense.

Camille Boutron s’intéresse également aux femmes actives dans le contre-terrorisme. Dans la mesure où les autorités péruviennes ne veulent pas mettre en avant les succès remportés contre la guérilla par des femmes. De fait, l'auteur a une bien des difficultés à retrouver ces dernières afin d’en évaluer le nombre. L’auteur réfléchit sur l’intensité de la violence exercée par ces femmes (MRTA et PCPSL), qui ne répugnent pas à exécuter des civils, et les conséquences sociétales de leur engagement armé.

Pour mieux comprendre les motivations qui ont poussé ces militantes politiques à entrer dans la « lutte armée », Camille Boutron est allée interviewer des militantes du MRTA et du PCPSL dans les prisons où elles sont incarcérées. Pour cette raison, la condition carcérale des femmes en prison est méticuleusement étudiée dans toutes ses dimensions (familiales et amoureuses comprises) ; certaines poursuivent un engagement militant derrière les barreaux, mais de façons diverses, entre autre en se battant pour l’amélioration de leurs conditions de détention, mais aussi celle des femmes de droit commun.




 Ces militantes trouvent que les Péruviennes sont doublement exploitées en tant que travailleuses et en tant que membres du sexe dit faible. Si ces deux mouvements ont pris largement en compte les revendications féministes par contre ils n’ont pas toléré que des combats pacifiques féministes se développent en dehors de leurs initiatives allant jusqu’à assassiner certaines des femmes qui menaient ces luttes.

 Les femmes sendéristes ont été considérablement mises en avant par leur mouvement, à l'exemple d'Augusta de la Torre, du PCPSL, peut-être assassinée par une rivale. Dès lors, une légende révolutionnaire dorée se construit autour de sa personne (page 140). La mémoire entretenue autour de ces combattantes révolutionnaires est largement relayée par la presse locale qui d'ailleurs joue tant sur le registre de la fascination que de la répulsion.

Notons enfin que l’image de propagande utilisée pour la couverture du livre provient de l'un des rares musées du terrorisme situé au Pérou.  

BOUTRON (Camille), Femmes en armes: Itinéraires de combattantes au Pérou, 1980-2010, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2019, 221 p.

Alain CHIRON