mardi 21 mai 2019

LIVRE : FEMMES EN ARMES : LES GUERRIÈRES DE L’HISTOIRE de Marie-Ève Sténuit (Mots-clés : infanterie, cavalerie, Belgique, France, Angleterre, Russie, Espagne, Chine, Proche-Orient, Amérique)

 Dans l’introduction, l’auteur répond à une question essentielle : « Quelles furent les motivations de ces femmes ? La misère le plus souvent, le goût de l’aventure parfois, la vengeance dans certains cas, ou simplement l’envie d’échapper à un destin tout tracé qui ne convenait pas à leur tempérament ».
D’autre part, elle avance le cas d’« Anne Chamberlyne, fille unique d’un homme de loi londonien, qu’aucune nécessité sociale ou économique n’a poussée à suivre son frère pour participer à la bataille de Beachy Head contre les Français en 1690. Six heures de bataille navale dont elle sortit indemne… pour mourir en couches l’année suivante ».



Sont présentées dans cet ouvrage: Fu Hao, Mathilde de Toscane, Florine de Bourgogne et sœur Marguerite deux héroïnes des croisades, María de Estrada et les conquistadoras de Cortés, Philippine-Christine de Lalaing, Catalina de Erauso, Hannah Snell, Thérèse Figueur et Nadejda Dourova.
Fu Hao () fut l’une des épouses officielles de Wu Ding, le vingt-deuxième roi de la dynastie Shang ; leur tombe a été retrouvée dans la région d’Anyang au nord de la province du Henan traversée par le Fleuve jaune. Elle vécut vers 1250-1200 avant notre ère ; elle devint grande prêtresse et commandant en chef des armées. A ce titre, elle mena les troupes Shang à la victoire dans la campagne contre les tribus barbares environnantes. Ajoutons que Mulan (Huā mùlán 花木en chinois) dite la "Jeanne d’Arc chinoise" est par contre le fruit d’une création littéraire. La première version de cette légende date de la période de 420 à 589, dite des dynasties du Nord et du Sud, elle fut popularisée par Xu Wei sous la dynastie des Ming au XVIe siècle, sous une forme théâtrale.

Mathilde de Toscane est, par sa mère, la petite-fille de Frédéric III, comte de Bar et duc de Haute-Lotharingie (espace qui allait devenir la Lorraine). L’empereur Henri III se rend en Toscane et emmène Mathilde et sa mère Béatrice de Bar avec lui en Allemagne où elles restent retenues à la cour impériale durant une année, n’étant libérées que par le fait que Henri III meurt en 1056. Mathilde épouse Godefroid III de Basse-Lotharingie ou Godefroid III d'Ardenne ; dans la Querelle des investitures, elle prend le parti des papes et accueille Grégoire VII dans son château de Canossa où l’empereur Henri IV va faire amende honorable en 1077. Toutefois dans les années 1080, le conflit devient armé entre les partisans du pape et ceux de l’empereur, aussi Mathilde devient-elle stratège militaire. Notons que Mathilde « est en effet la fondatrice de l’abbaye d’Orval, située dans l’actuelle province belge du Luxembourg, où se brasse la célèbre trappiste qui fait aujourd’hui la renommée du monastère ».

Florine de Bourgogne est la fille d'Eudes I de Bourgogne et Sybille de Bourgogne, née en 1083, elle meurt en 1097, sans avoir tiré l’épée, tuée par les Turcs en Cappadoce, avec plus de mille guerriers danois dont son époux Sven le Croisé. Parmi les héroïnes des croisades, on relève le nom d’Ida de Cham, la margravine d’Autriche ; veuve de Léopold II d’Autriche, elle est présente, avec Guillaume IX d’Aquitaine (grand-père d’Aliénor), Hugues de Vermandois et Welf Ier de Bavière au tout début du XIIe siècle lorsqu’une des armées croisées est décimée à Ereğli par les Seldjoukides. Aliénor d’Aquitaine et Louis VII, son premier époux, roi de France sont présents à la seconde Croisade. « Nicétas Choniatès signale la présence dans l’armée de Conrad III de Hohenstaufen, empereur du Saint Empire romain germanique, d’un bataillon féminin composé de cavalières armées de javelots et de haches. Il est commandé par une femme à la rutilante parure, surnommée "la dame aux jambes d’or" ».

Nous avons la trace de véritables combattantes chez des chroniqueurs musulmans (et marginalement par l’archéologie), mais la seule dont on connaisse le nom et la vie aventureuse est la sœur Marguerite. La concernant des vers ont été rédigés après qu'elle eut été convaincue d’intégrer le monastère de Montreuil-sous-Laon. En 1301 des dames génoises se sont portées volontaires pour aller reconquérir la Terre sainte, vidée de toute présence latine depuis dix ans ; elles se sont faites fabriquées des cuirasses adaptées pour cela, mais celles-ci n’ont jamais servi. 
Le 5 octobre 1581, le siège de Tournai commence. Les habitants de la cité sont passés majoritairement à la Réforme accueillant des protestants wallons sujets à persécutions. Philippine-Christine de Lalaing, en l’absence de son mari gouverneur de la ville, va défendre Tournai face aux Espagnols commandés par Alexandre Farnèse. 
 
Autre figure, celle de Catalina de Erauso qui connaît une vie aventureuse dans les colonies espagnoles d’Amérique au début du XVIIe siècle, tuant notamment en duel un nombre non négligeable de personnes.

On poursuit avec Hannah Snell : « Le 27 novembre 1745, désormais sans revenus, sans époux et sans enfant, Hannah Snell, âgée de 22 ans, emprunte un costume à son beau-frère et, s’attribuant également son identité, se rend à Coventry pour s’engager dans le 6e régiment d’infanterie de Warwick (le célèbre « Sixth » du colonel John Guise) sous le nom de James Gray ».

Passons à Thérèse Figueur qui n’est autre que la véritable Madame Sans-Gêne. Elle n’a pourtant rien à voir avec la truculente Maréchale Lefebvre, que Victorien Sardou a choisi, au mépris de l’Histoire, de populariser dans une pièce. La nôtre est une Bourguignonne née le 17 janvier 1774 à Talmay et morte le 4 janvier 1861, à l’hospice des Petits-Ménages dans le 7e arrondissement de Paris. Officiellement cantinière, elle combat à plusieurs occasions dans les guerres de la Révolution et de l’Empire.

Plus à l'est, Nadejda Dourova est la première femme officier de cavalerie russe. En 1807, alors qu’elle est âgée de vingt-quatre ans, elle s'habille en garçon et, sous le pseudonyme d'Alexandre Sokolov, combat les armées napoléoniennes jusqu’à la fin 1812. 
 
Nous parcourons agréablement ces récits hauts en couleurs, qu'un carnet central accompagne d'illustrations peu connues, variées et bien choisies.
 

STENUIT (Marie-Ève), Femmes en armes : les guerrières de l’histoire, éditions du Trésor, 2019, 187 pages

Alain CHIRON


LIVRE : FEMMES PIRATES : LES ÉCUMEUSES DES MERS de Marie-Ève Sténuit (Mots-clés : pirates, corsaires, France, Angleterre, Chine)

 « Marie-Eve Sténuit est née à Uccle, une commune de Bruxelles, le 15 mars 1955. Elle a étudié l’Histoire de l’Art et l’Archéologie à l’Université Libre de Bruxelles, ville où elle réside principalement aujourd’hui. Elle exerce la profession d’archéologue et d’écrivain. Ses activités scientifiques l’ont conduite pendant plus de vingt ans en Syrie, chaque année. Elle est également co-directrice du GRASP (Groupe de Recherche Archéologique Sous-Marine Post-Médiévale) créé par son père, Robert Sténuit. Elle séjourne régulièrement en Indonésie, sur l’île de Bali, par amour pour l’art et la culture... » (Source : IGGY Book)

L'auteur (DR)


De l’introduction de Femmes pirates : les écumeuses des mers, on retiendra particulièrement :
« Les femmes qui sont entrées en piraterie y sont venues pour les mêmes raisons que les hommes : la cupidité ou la misère, la soif d’aventures, la fuite d’un monde trop étroit pour leurs expectations. (…) . Dans la majorité des cas, les femmes pirates ont mené leur carrière dans l’anonymat, sous des noms d’emprunt et dans des habits d’homme. En piraterie comme ailleurs, le genre féminin fut bien souvent un handicap ».





L’ouvrage de Marie-Eve Sténuit évoque donc longuement plusieurs destins de femmes pirates qui opérèrent en divers océans : Alfhilde de Gotland, Jeanne de Belleville, Lady Killigrew, Mary Read, Anne Bonny, Rose Bregeon, Louise Antonini, Julienne David, Chingh Yih Saou, Laï Cho San, Marie-Anne Dieuleveult, Maria Cobham, Mesdames Pease n°1 et Pease n°2.

D’autres figures émergent avec des développements plus courts dont l’un rappelle le sort tragique des boat-peoples vietnamiens à la fin des années 1970.

Par ailleurs, certaines d’entre-elles ont été prétextes à des fictions comme Jeanne de Belleville (un roman historique par Élie Durel, publié en 2018) ou Chingh Yih Saou soit en pinyin Cheng I Sao et avec les idéogrammes 鄭一嫂 (une BD en six tomes Shi Xiu, reine des pirates, parue tout au long des années 2010). Cette dernière est le personnage principal du film, sorti au cinéma en décembre 2004, En chantant derrière les paravents du réalisateur italien Ermanno Olmi.

Alfhilde de Gotland est une femme légendaire (et l’auteur ne prend pas le risque de dater les aventures qui auraient pu arriver à cette Scandinave) qui n’est historiquement évoquée que dans une source unique tardive du XIIIe siècle, la Gesta Danorum du moine Saxo Grammaticus. Le récit de la vie de cette princesse rappelle qu’il y avait des combattantes sur les drakkars. « En 885, lorsque plus de sept cents bateaux remontèrent la Seine jusqu’à Paris, mille femmes environ se trouvaient parmi les guerriers ». D’autre part, on sait que « des Skoldjmoer ou vierges au bouclier combattirent sur mer à la bataille de Bravalla qui opposa, vers 735, les grands chefs danois et suédois ».

Jeanne de Belleville est une femme originaire du Bas-Poitou qui a épousé le Breton Olivier IV de Clisson. Sur ordre du roi de France Philippe V, le mari de Jeanne de Belleville est tombé dans un piège et a été traîtreusement exécuté. Cette dernière arme trois navires afin de s’attaquer aux bateaux de commerce français. On est alors à l’époque de la guerre des deux Jeanne, un conflit de succession , touchant le duché de Bretagne, qui dure de 1341 à  1364, alors que Jeanne de Belleville est du côté du prétendant soutenu par les Anglais, du Guesclin réalise ses premiers exploits guerriers dans le camp adverse. « Au grand maximum, son activité de pirate a duré un an, de l’automne 1343 à fin 1344, probablement moins, mais ces quelques mois suffirent à la faire entrer dans l’Histoire ».

Lady Killigrew, Mary Read, Anne Bonny sont des Anglaises qui vécurent au XVIIe ou au début du XVIIIe siècle. La première fut sûrement plus receleuse que pirate. La seconde avait été soldat dans l’armée britannique lors de la guerre de Succession d’Espagne, avant de devenir pirate aux côtés d’Anne Bonny dans l’équipage de John Rackham. Rose Bregeon, native de Saint-Malo, fut corsaire dans les années 1770. Louise Antonini était la fille d’un patriote corse qui avait combattu aux côtés de Pascal Paoli (figure de l'indépendance Corse) ; corsaire, elle est faite prisonnière aux Antilles par les Anglais. Après un séjour forcé au Royaume-Uni, elle rentre en France et devient soldat des armées de la Révolution et de l’Empire. On voit à travers ces exemples que se côtoient des figures connues et d’autres sorties de l’ombre.

On apprécie que le cas de deux Chinoises soit évoqué, Chingh Yih Saou et Laï Cho San. Ces deux-là opérèrent à un siècle de distance et la seconde a servi de modèle pour la Femme dragon, l'un des personnages de la série Terry et les pirates de Milton Caniff. L’iconographie est limitée à des cartes géographiques permettant de voir dans quel secteur maritimes agirent ces femmes pirates ou corsaires.

STENUIT (Marie-Ève), Femmes pirates : les écumeuses des mers, éditions du Trésor, 2015, 185 pages.

Alain CHIRON