samedi 22 novembre 2014

LIVRE : LES FEMMES SNIPERS RUSSES DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE, de Youri Obrazisov et Maud Anders (Mots-Clés : Russie, seconde guerre mondiale, snipers)


La Russie s'invite encore aujourd'hui et nous en sommes plus qu'heureux avec un bien bel ouvrage : Les Femmes snipers russes.

Pendant la seconde guerre mondiale des milliers de femmes russes ne se contenteront pas de fabriquer des munitions ou de s'entrainer au maniement des armes dans le cadre du Vsievoboutch, car elles prendront une part active aux combats en devenant aviatrices, infirmières, tankistes, en servant dans les communications, les transmissions, la défense contre avions mais aussi comme snipers dès le début du conflit.



Outre les métiers d'infirmières, de pilotes, etc., celui de sniper fut l'un des plus dur. Alors qu'au commencement, en Union Soviétique, les femmes snipers sont des cas isolés, leur nombre augmentera grâce à la création de l'Ecole principale de préparation des femmes snipers et la volonté chez nombre d'entre elles d'aller au front. Un métier difficile qui demande de l'endurance, de la discrétion, du sang froid et beaucoup de patiente. Tout comme leurs homologues masculins, l'objectif qui leur est assigné est « d'atteindre les cibles à haute valeur telles que les officiers, les mitrailleurs, les snipers adverses et les transmetteurs. » « Elles vont se trouver confrontées au feu ennemi, au danger direct, à la menace de se faire arrêter par les Allemands et torturées, aux difficultés météorologiques, à la boue, au grand froid hivernal ou la chaleur en été, à l'immobilité pendant des heures et des jours. »

Ce merveilleux livre de Youri Obrazisov et Maud Anders, traduit du russe, nous compte l'histoire des ces femmes intrépides et courageuses plongées jusqu'en 1945 dans la Grande Guerre patriotique. Elles s'appellent Maria Ivouchkina, Nina Lobkovskaya, Roza Chanina ou encore Ludmilla Pavlitchenko qui, à elle seule, tua 309 soldats et officiers ennemis. Outre ces figures de premier plan,  Les Femmes snipers présente l'armement utilisé, la formation qui leur est donnée, les combats auxquels elles prirent part et les décorations qu'elles reçurent pendant et après la guerre. Un très beau livre bien documenté qui comblera les amoureux de l'armée soviétique. Quelques pages sont également consacrées aux snipers du camp adverse.


Youri Obrazisov et Maud Ander, Les Femmes snipers russes de la seconde guerre mondiale, Paris, Histoire et Collections, 2014, 112 pages. 24,95 euros.



Les livres en langue française sur les femmes russes engagées dans le second conflit mondial étant trop rares voici quelques titres pour aller plus loin :

Elena Rjevskaïa, Carnets de l'interprète de guerre, Christian Bourgeois éditeur, 2011(Très bon livre écrit par une interprète russe d'origine juive dont la campagne la mena jusque dans le bunker d'Hitler à Berlin. Un récit libéré de toute influence politique) ;



Adrian Steather, Red and Soviet military and paramilitary services : female uniforms, 1941-1991, Veloce 2010 (un livre sur les uniformes féminins sans grand intérêt et des reconstitutions à la limite de l'indécence) ;



Bruce Myles, Les Sorcières de la nuit, Paris, Albin Michel, 1993 (excellent ouvrage sur les aviatrices soviétiques pendant la seconde guerre mondiale, particulièrement celles des 586, 587 et 588e régiments d'aviation) ;



Valérie Bénaïm et Jean-Claude Hallé, La Rose de Stalingrad, Flammarion, 2005 (ce livre relate l'histoire de Lydia (ou Lily) Litvak l'as féminin aux 21 victoires morte au combat en 1943 à l'âge de 21 ans et membre du 586e régiment de chasse) ;

Svetlana Alexievitch, La guerre n'a pas un visage de femme, éditions 84, 2005 (très bon livre sur les récits de femmes russes dans la 2e guerre mondiale, malheureusement en couverture se trouve une femme du bataillon de la mort créé pendant la première guerre mondiale. Cependant un livre incontournable).

dimanche 2 novembre 2014

Exposition INSTITUT DE FRANCE : "Un hôpital à l’arrière" : l’hôpital militaire auxiliaire n°265 (Mots-clés : grande guerre, infirmière, hôpital, 1914-1918)




Nous reviendrons sur cette exposition qui se tient du 02 octobre 2014 au12 décembre 2014.



Bibliothèque Thiers
                                                        27, place Saint-Georges, 75009 ParisTél. : 01 48 78 92 90

samedi 1 novembre 2014

Livre : LES FRANCAISES AU COEUR DE LA GUERRE, 1939-1945, dirigé par Evelyne Morin-Rotureau (Mots-clés : seconde guerre mondiale, résistance, résistantes, femmes tondues, VFFL)


« Emaillé de portraits de « grandes femmes » et riche de plus de 200 photographies et illustrations rares et originales, ce livre aborde des thèmes méconnus comme la prostitution organisée ou les violences sexuelles. Parce que l'histoire de la seconde guerre mondiale est trop souvent conjuguée au masculin, il propose une relecture du conflit à travers le prisme du « deuxième sexe », sur le long chemin de l'émancipation. » 



C'est avec une approche féministe, sociale, basée sur l'identité, que les femmes sont ici abordées. Toutes les femmes ? Non, tout du moins celles qui font, ou on fait l'objet de travaux universitaires ces vingt dernières années : résistantes de l'intérieur et de l'extérieur, les femmes juives de France, les femmes tondues, les comédiennes, etc. 

On regrettera que le quotidien des Françaises de la zone libre comme de la zone occupée n'ait pas trouvé une plus ample place en ces pages. On regrettera aussi "l'oubli" du rôle joué par les multiples organisations féminines ou à fort contingent féminin qui travaillèrent pour les autorités, pour le secours et la défense des populations éprouvées par la guerre ou encore au relèvement du pays à compter de 1944. 

De même, l'émancipation des femmes n'était que dans l'esprit de quelques femmes en ces années de guerre et semble en ces pages prendre plus d'importance et de poids qu'elle n'en eut réellement.

Comme toujours, celles qui ont choisi le (s) mauvais camp (s) sont quasiment absentes et ne sont traitées que sous la forme morte et désincarnée de la «tondue». Pourtant, derrière chaque engagement il y a une femme comme une autre qui n'est pas forcément la transfiguration du monstre. Avec, comme pour les hommes, des parcours complexes et sinueux, parfois logiques, d'autres hasardeux.

Un beau livre qui devrait ravir ceux et celles que les sujets abordés intéressent.

Evelyne Morin-Rotureau, Les Françaises au coeur de la guerre, 1939-1945, Paris, Autrement, 2014.
(30 euros)

dimanche 12 octobre 2014

Livre : PARACHUTEE AU CLAIR DE LUNE, Anne-Marie Walters (Mots-clés : résistante, résistantes, résistance, SOE, maquis, seconde guerre mondiale)


Depuis quelques années les éditeurs Français et Britanniques ont montré un regain d'intérêt pour les agents féminins du SOE de la section F (France). Créé en juillet 1940 par Sir Winston Churchill et mis en marche par Sir Hugh Dalton (ministre de la Guerre économique), le SOE (Special Operations Executive) avait pour mission l'envoi d'agents secrets dans les territoires occupés d'Europe principalement, mais aussi en Abyssinie et en Asie du Sud-Est, pour renforcer la résistance locale, diriger des sabotages, organiser la réception des parachutages d'armes, de matériel et d'agents et ainsi de suite.



Pour la France, outre la section F une section RF vit le jour, sous la pression de la France libre, dont la création et la direction furent conjointes, du moins à ses débuts, avec un officier britannique, Eric Piquet-Wicks et le chef du BCRA (Bureau central de renseignements et d'action) français, André Dewavrin.

Les femmes ne furent autorisées à intégrer le SOE qu'en 1942 pour des raisons pratiques évidentes. Celles de la section F eurent pour noms : Cecily Lefort, Diana Rowden, Eliane Plewman, Yvette Cormeau, Yolande Beekman, Pearl Witherington, Elizabeth Reynolds, Madeleine Damerment, Denise Bloch, Eileen Nearne, Yvonne Baseden, Patricia O'Sullivan, Yvonne Fontaine, Lilian Rolfe, Violette Szabo, Muriel Byck, Odette Wilen, Nancy Wake, Phyliss Latour, Marguerite Knight, Madeleine Lavigne, Sonya Butt, Ginette Jullian, Christine Granville, Gillian Gerson, Virginia Hall, Yvonne Rudellat, Blanche Charlet, Andrée Borrel, Lise de Baissac, Mary Herbert, Odette Sansom, Marie-Thérèse Le Chene, Sonia Olschanezky, Jacqueline Nearne, Francine Agazarian, Julienne Aisner, Vera Leigh, Noor Inayat Khann,Vera Atkins et bien entendu Anne-Marie Walters.

Pour en revenir aux agents féminins de SOE envoyés en France, leur recrutement se faisait dans le cadre du FANY (First Aid Nursing Yeomanry) qui servait à camoufler leur véritable affectation. Anne-Marie Walters alias Colette, née le 16 mars 1923 à Genève, de père britannique et de mère française, s'engage dans les WAAF (Women's Auxiliary Air Force) à l'âge de 17 ans seulement. Peu encline à la discipline militaire, elle est approchée par le SOE qui lui propose de participer à des missions derrières les lignes ennemies. Elle accepte avec enthousiasme sans trop savoir ce qui l'attend. Après une formation approfondie, Anne-Marie est parachutée le 4 janvier 1944 dans le sud-ouest de la France. C'est ce récit que nous suivons pas à pas jusqu'à son retour précipité fin 1944. « Durant sept mois (…) elle parcourra à vélo, en autocar, en train, en auto « gazogène » toute la région, en tant qu'agent de liaison du chef d'un des réseaux du SOE. Elle portera des messages aux responsables locaux, organisera la fuite d'hommes recherchés par l'ennemi, réceptionnera des parachutages et participera activement à la vie de plusieurs maquis. »

Le présent ouvrage est la traduction de Moondrop to gascony publié par Macmillan en 1946. La traduction française d'Anne Boulineau est de grande qualité, tout comme la postface, les notices biographiques et les notes de David Hewson qui font le point sur certaines figures ou corrigent les erreurs historiques d'Anne-Marie. Un livre de 288 pages qui se lit avec autant de plaisir qu'un roman. Au gré des pages, nous croisons de drôles d'individus ; des anonymes, courageux, trop curieux, pleutres, dénonciateurs ; des maquisards ; des résistants ; des Espagnols ; des Britanniques ; des Américains ; un néerlandais, mais aussi des Allemands, des miliciens et des membres de la Gestapo qui n'eurent de cesse de hanter les rêves de l'auteur.

Paru en 2012, Parachutée au clair de lune, complète les ouvrages de Monika Siedentopf, Parachutées en terre ennemie, Perrin, 2008 ; Sarah Helm, Vera Atkins, une femme de l'ombre, Paris, Seuil, 2010, Suzanne Ottaway, Violette Szabo, the life that i have, 2002 réédition 2014, etc.

Anne-Marie Walters, Parachutée au clair de lune, Marseille, éditions Gaussen, 2012, 288 pages.


dimanche 14 septembre 2014

Livre : Infirmière en 1914, Lucia TICHADOU (Mots-clés : Grande Guerre, 1914-1918, infirmière, Croix-Rouge)


Nous avons pris un réel plaisir à lire le livre de Lucia Tichadou, présenté et annoté par Hélène Echinard, Infirmière en 1914, journal d'une volontaire, 31 juillet-14 octobre 1914




« Le 31 juillet 1914, Lucia Bernard part en train de Perpignan (par Toulouse et Limoges) pour Paris. Enseignante, elle est en vacances et veut faire un tour à l’Ecole Normale de Fontenay-aux-Roses où elle a été élève quelques années auparavant, puis elle compte se rendre dans son village natal d’Eclaron en Haute-Marne où résident sa mère et sa belle-soeur qui attend un bébé. La guerre est imminente. Lucia décide de tenir un journal. C’est une jeune femme de 29 ans, pleine d’allant. Sitôt la guerre déclarée, elle s’improvise infirmière et s’installe à Brienne-le-Château dans un hôpital lui-même improvisé dans l’église et le presbytère, dont elle assure, elle-même, « la construction » des lits. Le soir, elle tient son journal où elle consigne, outre les faits, ses réflexions et ses interrogations. Avec la bataille des frontières, les premiers blessés arrivent. Puis, à partir du 6 septembre, c’est la bataille de la Marne. Brienne-le-Château et Eclaron, entre autres, sont au cœur du mouvement amorcé par les troupes françaises pour contenir l’ennemi, puis le faire reculer; Saint-Dizier, où réside une partie de la famille de Lucia, est traversée par la ligne de front...
Lorsque Lucia reçoit son affectation de professeur à l’école normale d’Aix-en-Provence pour la rentrée scolaire, elle refuse d’abandonner ses blessés, quitte à recevoir un blâme et même à mettre en cause sa carrière.
Elle obéira, en retard. »

Ce récit qui se situe dans les premiers mois de la guerre est un excellent exemple de l'état d'esprit des Français et des Françaises en ces mois d'incertitude et d'espérance d'un conflit court et victorieux.
Pour l'époque, Lucia Tichadou, n'est pas une « infirmière » comme les autres, elle a une opinion très marquée à gauche (elle adhère au PCF en 1934) et ne la cache pas. 
Pourtant, nous retrouvons chez elle ce patriotisme et cet antigermanisme outranciers qui furent dans la bouche de bien des écrivains, d'hommes politiques et de beaucoup de Français en général. Exemple : « Pourquoi ne puis-je éprouver de haines individuelles ? Je hais la sauvage patrie des Teutons. Je me réjouis d'entendre dire qu'on en a démoli des milliers. Et le premier casque de hulans me donne un soubresaut d'horreur et de pitié. » Ou encore «  La guerre déchaîne la sauvagerie. Horreur, allons, pas d'attendrissement, pas de sentimentalité, ils ont raison, il faut mettre des oeillères, renverser tout. La victoire, la liberté sont à ce prix. » Mais il transparait aussi chez elle de la pitié pour l'ennemi et un fort sentiment pacifiste.

Ces vingt dernières années une poignée de récits d'infirmières ont été publiés avec un succès mitigé. Cependant la Grande Guerre ne peut se comprendre sans aborder l'effort considérable mené à l'arrière. Nous conseillons vivement ce récit, paru au mois de septembre 2014, tant il colle à l'actualité des premiers mois de guerre. Un texte court, limpide, au flot agréable.

L'initiative de cette publication revient à Hélène Echinard et aux éditions Gaussen de Marseille.

Prix : 12 euros
Editions Gaussen, Marseille

Pour commander l'ouvrage :


Dans le prochain post nous présenterons une autre publication des éditions Gaussen : Parachutée au clair de lune de Anne-Marie Walters.

A lire aussi sur les infirmières de la Grande Guerre :


  • Sophie Humann, Infirmière pendant la Première Guerre mondiale: Journal de Geneviève Darfeuil, Houlgate-Paris, 1914-1918, Paris, Gallimard jeunesse, 2012
  • Simone de Montmollin, Lettres d'une jeune bon secours à sa mère durant la guerre de 14-18,  Orthez, Talhe-Hèr, 2004
  • Claudine Bourcier, Nos chers blessés, Alan Sutton, 2005

vendredi 18 juillet 2014

Décorations : Légion d'honneur, juillet 2014 (Mots-clés : Genty-Rossi, Galard, Indochine)

Décret du 11 juillet 2014 portant élévation aux dignités de grand Croix et grand officier de la Légion d'honneur (13 juillet 2014/JORF n°0161) :

A la dignité de grand Croix 

Madame de Galard, née Galard Terraube (Geneviève, Marie, Anne), ancienne convoyeuse de l'air. Grand officier du 6 juin 2011.

A la dignité de grand officier

Madame Genty-Rossi, née Assael (Constanza, Ida, Augusta dite Ida), ancienne résistante, commandante de l'air, commandeur du 15 mars 2008.

vendredi 13 juin 2014

Livre : Entretien avec Gérard Leray pour son livre LA TONDUE (Mots-clés : seconde guerre mondiale, collaboration, femmes tondues, Libération)


Pouvez-vous vous présenter ?

J’ai 51 ans. Je suis professeur d’histoire-géographie au lycée Jehan de Beauce à Chartres (Eure-et-Loir) depuis plus de vingt ans. Passionné par l’histoire politique de la période contemporaine, je me suis spécialisé au fil du temps dans la micro-histoire en Eure-et-Loir et dans la mémoire orale qui consiste à recueillir des témoignages d’acteurs et de témoins d’événements historiques.

Quel chemin vous a mené jusqu’à « la tondue » ? Et pourquoi ?

J’ai découvert la photographie prise par Robert Capa à l’âge de 13 ou 14 ans, au collège. Je me souviens avoir été littéralement scotché par la scène, sur le registre de la fascination. Le cliché de Capa est magnifique, dramatiquement magnifique. En plus du cadrage parfait, de l’esthétique, de la profondeur de champ, de l’expression des visages, il réunit une foule de sentiments primaires qui prennent aux tripes. Je ressens la peur de la femme livrée en pâture à la foule vengeresse. Cette peur m’a longtemps dissuadé de me lancer à la recherche de l’histoire de la femme tondue.
Pour autant, la photo de Capa a jalonné ma carrière d’enseignant. Pendant plus de deux décennies, tous les ans, j’ai montré le cliché à mes élèves, en cherchant à les faire réagir. Avec succès d’ailleurs. Mais jusqu’à fin 2008, je ne pouvais pas vraiment les renseigner sur le fond de l’affaire, dans la mesure où quasiment rien n’avait été publié sur le sujet. Et pour cause, Chartres avait honte de l’événement, tellement honte.
La situation s’est décantée en trois temps. D’abord, en mars 2004, un journal local a annoncé que la femme tondue immortalisée par Capa venait de mourir. « C’est faux, m’a dit une vieille voisine, la vraie tondue de Chartres est morte depuis longtemps. » Ensuite, fin 2006, une étudiante japonaise originaire d’Hiroshima a débarqué à mon domicile chartrain. Elle souhaitait obtenir des renseignements sur la « tondue ». Enfin, en décembre 2008, au lycée, après un cours sur l’épuration sauvage à la Libération centré sur la célèbre photo, une élève m’a interpellé : « Monsieur, ce serait tellement bien d’en savoir plus… » Cette phrase a vraiment été l’élément déclencheur de mon travail d’enquête.



Comment a commencé votre enquête ?

J’ai commencé par la collecte des informations existantes, très pauvres en réalité, infestées par les rumeurs, les inexactitudes et les incohérences. J’ai découvert que de nombreux historiens et journalistes français et étrangers, plus ou moins sérieux, avaient tenté avant moi de creuser le sujet, en vain. L’enquête a pris sa véritable dimension en avril 2009 quand j’ai pu consulter le dossier judiciaire de la famille Touseau aux Archives nationales rue des Francs-Bourgeois à Paris. Une mine d’or de plus de 200 feuillets qui m’a permis de comprendre les tenants et les aboutissements du drame. A partir de là, tout s’est décanté. Je disposais enfin des noms des acteurs principaux. Et j’ai progressé très vite dans la reconstitution du puzzle.

Pouvez-vous nous parler de « la tondue » ?

En résumé, Simone Touseau, née en 1921 - elle avait donc 23 ans en août 1944 -, a grandi dans un milieu social réceptif aux thèses extrémistes de droite. En 1941, cette jeune femme intelligente, lauréate du baccalauréat, s’engage au service de l’occupant comme secrétaire interprète. Elle tombe amoureuse d’un soldat allemand de douze ans son aîné, Erich Göz. L’homme, bibliothécaire de profession, francophile et pas nazi pour deux sous, dîne tous les soirs chez les Touseau. En novembre 1942, Erich est muté sur le front de l’Est. Au printemps 1943, Simone apprend qu’il a été blessé et transporté dans un hôpital militaire à Munich. Elle fait l’impossible pour pouvoir le rejoindre. Elle y parvient effectivement, tombe enceinte, est expulsée de Bavière à cause de son état… Elle accouche le 23 mai 1944 à l’Hôtel-Dieu de Chartres. Et le 16 août, au premier jour de la Libération, elle est arrêtée par des FFI de la dernière heure, tondue, marquée au fer rouge et, dans la foulée, exhibée avec son bébé et ses parents au milieu de la foule en délire malsain.
La famille Touseau n’en a pas fini avec l’épuration. Quelques jours plus tard, Simone et sa mère sont accusées d’avoir dénoncé en février 1943 des voisins parce qu’ils écoutaient la radio anglaise. Quatre ont été déportés, deux sont morts en captivité. Les femmes Touseau risquent la peine de mort. En novembre 1946, après 26 mois de prison, elles bénéficient d’un non-lieu faute de preuves irréfutables.
La suite est une longue descente aux enfers. Simone a appris tardivement, au cours de sa détention, la mort de son fiancé allemand pendant l’été 44. Elle tente de refaire sa vie à l’écart de Chartres, se marie, a deux autres enfants, mais les démons du passé l’emportent. Elle sombre dans la dépression et l’alcoolisme. Elle meurt prématurément en février 1966.

Avez-vous rencontré des obstacles ?

Mon idée, dès le départ, a été d’associer l’histoire et la mémoire de l’événement. J’avais percé l’histoire, mais pas la mémoire. A l’été 2009, j’ai publié dans un mensuel local une première synthèse de mes recherches sur la « tondue ». J’ai été contacté par Philippe Frétigné, érudit, féru d’histoire et surtout enfant du quartier où vivait Simone Touseau. Il a été le sésame pour que les vieux chartrains, jusqu’alors murés dans le silence, se décident enfin à révéler leurs souvenirs. Sans lui, je n’aurais jamais réussi. Philippe a également été un fin analyste de la sociologie de cette partie nord de la ville haute, surplombant la butte des Charbonniers.
Au moment de la sortie de notre livre en septembre 2011, Frétigné et moi avons redouté d’être accusés de voyeurisme, de remuer la boue, etc. En réalité, l’ouvrage a été très bien accueilli par toutes les sensibilités et la critique a salué la qualité scientifique de notre enquête, son ton modéré. Nous avons été grandement soulagés.

Vos recherches vous ont mené en Allemagne ? Y avez-vous rencontré des témoins de l’époque ou leurs descendants ?

Pour retrouver le fiancé allemand de Simone Touseau, vérifier son identité, recouper les éléments historiques épars, plusieurs voyages outre-Rhin ont été indispensables, à Berlin (au WASt, centre d’archives des soldats de la Wehrmacht), Munich, Hanovre, Künzelsau, la ville natale d’Erich Göz. Également, je me suis rendu en Suisse alémanique sur les traces d’Ella Amerzin-Meyer, l’amie gestapiste de Simone Touseau. J’ai été en contact avec l’International Center of Photography (qui gère le fonds photographique de Robert Capa) à New-York, aussi avec Henning Mankell, le célèbre romancier et dramaturge suédois, qui a écrit une pièce de théâtre inspirée de la photo de Capa (Des jours et des nuits à Chartres)…
Après la première édition du livre, j’ai été contacté par un descendant de la famille d’Erich Göz, Reinhard Huppenbauer. Cet homme est devenu mon ami. Nous nous rencontrons désormais régulièrement. Ses archives familiales ont notamment contribué à enrichir la dernière édition de « la tondue », en octobre 2013.

Comment le monde des anciens combattants issus de la Résistance a-t-il accueilli le livre ? Et celui des historiens ?

Le monde des anciens combattants issus de la Résistance fait profil bas sur le sujet. Et on le comprend. S’en prendre à une femme, à des femmes, n’est pas très glorieux… Ce sont bien des résistants qui ont tondu onze femmes ce matin du 16 août 1944 à l’intérieur de la préfecture à Chartres. Des résistants de la toute dernière heure en plein défouloir. Sur la photo de Capa, il n’y a qu’une seul authentique résistant. Il s’appelait Louis Pennanec. Il est placé derrière Simone Touseau, en civil, chemisette à manches courtes. Il était policier au commissariat de Chartres. Il n’a pas laissé beaucoup de traces dans la résistance locale. Et pourtant… Ce jour-là, de son propre chef, il a cherché à protéger « la tondue » contre les éventuels débordements de la foule.
Notre livre a été cité en référence par la critique historienne, en particulier, par la revue L’Histoire. Un bel hommage.

Le sujet des femmes tondues suscite beaucoup d’intérêt depuis plusieurs années. Abordez-vous ce sujet différemment des autres historiens ?

Je vous disais d’entrée que mon terrain de prédilection est la micro-histoire, contrairement aux « papes » du sujet des femmes tondues, Alain Brossat, philosophe, et Fabrice Virgili, historien, qui travaillent sur la macro-histoire.
J’étudie des faits inscrits dans des situations particulières, microscopiques. Je suis néanmoins capable de révéler les lignes directrices du comportement humain. Car il n’y a pas d’histoire dérisoire, tout est important. Et c’est un puits sans fond.
Actuellement, je travaille sur trois autres histoires sordides de femmes tondues, à Maintenon, Sancheville et Nogent-le-Rotrou. Précisément, dans la sous-préfecture percheronne, le 16 août 1944, quasiment au même moment où Capa a pris son célèbre cliché de Simone Touseau, plus de deux mille civils ont assisté à la tonte de dix-huit femmes par les « héros » du maquis de Plainville… Je dispose de vingt-cinq photographies qui heurtent l’histoire officielle de résistants, que l’on découvre barbares. Les Nogentais survivants de cette époque ne se bousculent pas pour témoigner... À ceux qui me disent qu’on a le droit à l’oubli, je réponds : surtout pas !

Pensez-vous que ce phénomène est « sexué » comme certains le laissent entendre ?

Assurément. 20 000 femmes ont été tondues à la Libération dans toute la France. Par des hommes, essentiellement… Il y a sans doute une dimension psychanalytique : l’homme viril, cherchant à faire oublier ses propres faiblesses pendant l’occupation, montre qu’il a recouvré son pouvoir (sexuel ?), s’en prend à la femme coupable de collaboration horizontale… C’est elle qui est le déshonneur, c’est lui qui incarne la puissance et la gloire…

Quelle réflexion tirez-vous de toute cette histoire ?

L’enquête sur « la tondue » de Chartres a pris un tournant que je n’imaginais pas au départ. De fait, aujourd’hui, la vie de Simone Touseau fait partie de la mienne. Quelle histoire extraordinaire ! Quelle catastrophe pour tous les acteurs du drame !
Avec le recul, Philippe Frétigné et moi sommes très fiers d’avoir contribué à lever le voile sur ce sujet tabou à Chartres il y a encore quelques dizaines de mois. Désormais, la ville de Chartres n’est plus associée uniquement à Jean Moulin, symbole majeur de la Résistance. Cela s’appelle rétablir la vérité historique.
Et puis, il y a le bébé (il a soixante-dix ans aujourd’hui), que j’ai pu approcher au cours de l’enquête. Cette personne est tellement traumatisée par l’histoire de sa mère, de sa famille, qu’il convient absolument de la protéger. Promesse lui a été faite de préserver son anonymat. Elle sera tenue.

Merci à monsieur Gérard Leray d'avoir répondu à nos questions.

Gérard Leray et Philippe Frétigné, La tondue 1944-1947, Vendémiaire, 2011, (rééd. 2013) disponible sur les sites de vente en ligne et en librairie.

mercredi 28 mai 2014

vendredi 23 mai 2014

Presse : LA CHARTE et les femmes dans la guerre

La revue La Charte, organe de la Fédération nationale André-Maginot,  de mars-avril 2014, consacre un dossier de 9 pages sur les Françaises pendant les deux guerres mondiales. Un dossier un peu
tristounet.




Quelques erreurs aussi comme en page 10 : les SSA n'ont pas été dissoutes en juin 1940, mais fin 1944, de même les conductrices de cette association ne furent pas 6 600 mais un peu plus de 300 ; page 9 il est dit "les femmes sont présentes au sein de la Croix-Rouge, la Société de secours aux blessés militaires, la section  sanitaire automobile ou encore les infirmières pilotes et/ou parachutistes de l'air", en fait les Sections sanitaires automobiles féminines (SSA), la Société de secours au blessés militaires (SBM ou SSBM),  les Infirmières pilotes et secouristes de l'air (IPSA), pour reprendre les termes exactes, font partie de la Croix-Rouge française qui, à cette époque, n'est pas encore unifiée. La SSA fait partie de la SSBM qui elle-même fait partie de la CRF, etc. ; Il aurait aussi fallu parler de ces milliers de femmes qui servent l'Etat français dans divers domaines intéressant le pays d'alors (aide aux prisonniers, ravitaillement, défense passive, travail social, travail médical, etc.) ; les monuments relatifs aux infirmières de la Grande Guerre sont bien plus nombreux qu'on ne le pense, de fait les femmes n'ont pas été oubliées. Ces mêmes monuments sont quantitativement moins nombreux car le nombre de femmes mortes pendant la guerre est infime quant aux milliers d'hommes morts au combat, de maladie, en service ou d'accident ; etc.

Un article qui intéressera les lecteurs qui ne connaissent pas le sujet.

vendredi 25 avril 2014

Livres : LE SERVICE DE SANTE A L'HONNEUR (Mots-clés : grande guerre, 1914-1918, Nicole Mangin, infirmière, service de santé)


Voici deux nouveaux livres sur le service de santé français de la Grande Guerre que nous tenions à vous présenter. L'un et l'autre se complètent parfaitement. Bien entendu, si nous en parlons aujourd'hui c'est aussi parce que les femmes n'en sont pas absentes.

LE SERVICE DE SANTE 1914-1918

Bien que son titre ne la précise pas, Le Service de santé 1914-1918, de Marc Morillon et Jean-François Falabrègues, paru aux éditions Bernard Giovanangeli éditeur en cette année 2014, se consacre presque exclusivement aux tenues et au matériel du service de santé des armées pendant la Grande Guerre. Une étude bien menée, avec de merveilleuses illustrations et photographies, de nombreuses tenues et accessoires d'époque provenant en grande partie du musée du service de santé des armées. Nous y découvrons, entre autres, le service de santé au temps de la « Belle époque »,  celui des différentes périodes de la Grande Guerre, mais aussi la présence du service de santé aux colonies ou dans la marine. Les éternels oubliés de ce genre d'ouvrage sont bien présents : les infirmières de la Croix-Rouge française (ADF, UFF, SSBM) et les infirmières militaires, ainsi que les aumôniers. Une page est également consacrée à Nicole Girard-Mangin, l'une des rares femmes médecins à avoir servie sous l'uniforme du service de santé des armées. Nous l'avions d'ailleurs présentée dans un post en date du 20 août 2012. Un ouvrage merveilleux bien structuré, complet, agréable tant à feuilleter qu'à lire. Achetez le vite !



Marc Morillon & Jean-François Falabrègues, Le Service de santé 1914-1918, Paris, Bernard Giovanangeli éditeur, 160 pages (cartonné) 35 €


HÔPITAUX MILITAIRES DANS LA GUERRE 1914-1918

Le cinquième tome de cette excellente série est sorti au mois de mars 2014. Ce sont les 13e, 14e et 15e régions militaires, Monaco et la Corse qui sont ici détaillés et disséqués minutieusement. En complément viennent s'articuler un dossier thématique sur les évacuations sanitaires par voies maritimes et fluviales (navires hôpitaux et péniches sanitaires) ainsi qu'un précis d'organisation et de fonctionnement du service de santé de la zone de l'intérieur. De nombreuses photos tirées de collections privées ou du musée du service de santé des armées accompagnent le texte.



Comme toujours, une étude complète et érudite. Nous avions présenté la série dans le post du 3 juin 2013, mais si vous souhaitez en savoir plus sur la série et les auteurs nous vous invitons à prendre cette direction :


François Olier et Jean-Luc Quénec'hdu, Hôpitaux militaires dans la guerre 1914-1918, tome IV, France sud-est, Louviers, Ysec, 2014, 336 pages, 38 €

Vous pouvez vous procurer ces deux livres sur les sites de vente en ligne, sur commande ou en magasin.

mardi 8 avril 2014

LE MONUMENT D'EDITH CAVELL AU JEU DE PAUME (Mots-clés : Edith Cavell, Louise Thuliez, Grande Guerre, héroïne, résistante)


Héroïne de la Grande Guerre, arrêtée en Belgique pour espionnage, puis fusillée par les Allemands après de longs mois de captivité, l'infirmière britannique miss Edith Cavell (1865-1915) a longtemps marqué les esprits par sa mort tragique. Entrainant une vague d'indignations et un large esprit de vengeance chez ses compariotes. En France, la Ligue des Droits de l'Homme organisa un rassemblement auquel s'associèrent le président de la République et les ambassadeurs des pays alliés.


Monument du Jeu de Paume, 1939 (coll. Pineau)

Moderne Jeanne d'Arc, des livres, des films, des pièces de théâtre, etc. lui sont consacrés. Plusieurs monuments en France, en Grande-Bretagne et en Belgique commémorent ou ont commémoré son calvaire.

A Paris, un monument à sa mémoire fut érigé dans les jardins des Tuileries contre le mur oriental du musée du Jeu de Paume. Avait-il un lien quelconque avec l'idée que proposât la femme de lettre Séverine d'ériger une statue où Edith Cavell serait représentée soignant un blessé allemand ?

Offert à la ville de Paris par le journal Le Matin, le monument de grande dimension fut inauguré le 12 juin 1920 par André Maginot (1877-1932). Sa réalisation en fut confiée au sculpteur albigeois Gabriel Edouard Baptiste Pech (1854-1930).





















Jusqu'en 1940 les associations patriotiques vinrent y déposer une gerbe. Au premier rang desquelles l'association de défense passive féminine des Assistantes du devoir national (ADN) d'Hélène Rodillon qui comptait parmi ses membres Louise Thuliez (1881-1966) compagne d'infortune d'Edith Cavell pendant la Grande Guerre.

Les dépôts de gerbes au bas du monument cessèrent avec l'entrée des Allemands dans Paris. Et pour cause, ils s'empressèrent de le détruire le 14 juin 1940, un jour seulement après qu'ils eurent pénétré dans Paris. Edith Cavell "symbole mort" de la "barbarie allemande" ne pouvait plus encore trôner dans une place dominée par ceux qu'elle avait combattus.

Depuis lors le monument détruit a sombré dans l'oubli. Pas de trace de sa présence au Jeu de Paume. D'ailleurs qui pourrait encore penser qu'à cet endroit s'élevait un monument commémoratif ? Quelques érudits, peut-être ? 

lundi 31 mars 2014

Livres : ROSE VALLAND, LE FRONT DE L'ART (Mots-clés : Beaux-Arts, Rose Valland, seconde guerre mondiale, résistance)


LE FRONT DE L'ART, DEFENSE DES COLLECTIONS FRANCAISES, 1939-1945

Le film de George Clooney, Monuments Men, sorti le 12 mars 2014 en France, a permis, outre le fait de faire sortir de l'ombre l'action de ces officiers "Beaux-Arts" américains chargés de récupérer les oeuvres d'art spoliées par les Allemands, de dévoiler le travail d'une bien discrète et "modeste" française en la personne de Rose Valland (1898-1980) (Claire Simone dans le film), campée par la sémillante Cate Blanchett. Notons à ce sujet, qu'une autre actrice, française cette fois-ci, Suzanne Flon (1918-2005), la représente dans Le Train de John Frankenheimer sorti en France le 22 septembre 1964.



Employée comme bénévole depuis 1932 au musée des Ecoles étrangères du Jeu de Paume, elle y demeure jusqu'en 1944. Sa situation privilégiée lui donne l'occasion de décrire le "comportement des hommes face à leur patrimoine le plus précieux." Après la défaite de juin 1940, le jeu de Paume devient un lieu de rassemblement des collections confisquées aux familles juives, mais également un lieu de passage obligé pour les oeuvres d'art des collections françaises convoitées par les autorités allemandes, particulièrement par le Reichsmarschall Hermann Goering. En effet, l'ouvrage de Rose Valland, Le Front de l'art, défense des collections françaises, 1939-1945, dépeint une véritable bataille du patrimoine où s'affrontent la direction des musées nationaux, l'Etat français, l'Einzatstab Reichsleiters Rosenberg (service chargé entre autres des spoliations), les musées allemands, les marchands d'art, la wehrmacht, etc. Une bataille qui va parfois jusqu'à l'anéantissement. Ainsi dans le chapitre XX, consacré à la liquidation des tableaux "d'art dégénéré", Rose décrit comment le 23 juillet 1943, 5 à 600 tableaux modernes parmi lesquels des Klee, Max Ernst, Picasso, etc., considérés comme "inemployables" (à la vente) et dangereux, sont brulés par les Allemands dans le jardin intérieur du musée du Jeu de Paume, à l'instigation de Einzatstab Reichsleiters Rosenberg (ERR). Cette scène fut heureusement unique en son genre, mais traumatisante pour ceux qui la vécurent impuissants, au premier rang desquels Rose Valland. Malgré les pressions et autres intimidations de l'occupant, Rose Valland, à la demande du directeur des musées nationaux et de l'école du Louvre, Jacques Jaujard (1895-1967), se maintient à son poste jusqu'à la Libération. Pendant cette période elle observe, prend des notes capitales sur les oeuvres d'art transitant par le musée du Jeu de Paume : lieu de départ, de transit, d'arrivée, etc. Les nombreuses informations ainsi recueillies clandestinement, au jour le jour, permettent, lors de l'entrée des Alliés en Allemagne, mais aussi en France et ailleurs en Europe, de sauver ou de retrouver la trace de nombre d'oeuvres dissimulées par les Allemands chez des particuliers, dans des mines, des châteaux voire des trains. Engagée dans la 1re armée française avec le grade de capitaine chargé des "Beaux-Arts", sa position lui permet ainsi de sillonner l'Allemagne à la recherche des oeuvres un jour croisées maintenant perdues. L'action qu'elle mène ainsi, "une épopée professionnelle d'un genre assez rare", pour reprendre Jean-Paul Cluzel, président de la RMN-Grand Palais, lui vaut d'être décorée après guerre de la médaille américaine de la Liberté, alors qu'elle occupe le poste de chef de la section Beaux-Arts de la délégation française du Conseil de contrôle de Berlin, par le général Tate attaché militaire américain à Paris.

1re édition du Front de l'art, avec en couverture
Burt Lancaster acteur principal du film Le Train.


Le Front de l'art n'est pas véritablement une autobiographie, vous n'y trouverez rien sur la vie de l'auteur ou de sa jeunesse, éléments que nous aimerions d'ailleurs connaître. Elle prend la position d'un "modeste" témoin privilégié par sa situation la mettant aux premières loges, décrivant les tribulations des collections françaises de la Drôle de guerre à la défaite allemande de 1945 telles qu'elle les a vues et vécues, mais ne s'en tient pas à ces seuls faits en traitant de l'ensemble de la question de la protection et du pillage des oeuvres d'art.

Son ouvrage est paru pour la première fois en février 1961 aux éditions Plon. Tiré à 4000 exemplaires, il est, dans sa version originale, difficile de se le procurer. Cette dernière réédition, la troisième (La deuxième réédition, fruit de la RMN, remonte à avril 1997), due à la volonté de la Réunion des musées nationaux (RMN) et de personnes perspicaces, augmentée d'une série de notes d'éclaircissement ou de contextualisation est indispensable pour comprendre la dimension jouée par l'art dans les idéologies totalitaires et dans la société en général. Un ouvrage passionnant tant par son texte d'origine que par ses notes complémentaires.

LES CARNETS DE ROSE VALLAND

L'ouvrage Les Carnets de Rose Valland, d'Emmanuelle Polack et Philippe Dagen, publié par les éditions FAGE est un heureux complément au Front de l'art. Incontournable, il rassemble les notes quotidiennes de Rose Valland, ainsi que de précieuses biographies du personnel des musées nationaux et de celui du tristement célèbre ERR présents au musée du Jeu de Paume pendant les années d'occupation. Accompagné de portraits photographiques, cet ouvrage donne tout de suite plus de vie et de volume au Front de l'art.

Frédéric Pineau



Voici enfin une liste d'ouvrages très divers relatifs à l'action de Rose Valland ou à la protection des oeuvres d'art pendant la guerre, que nous complétons par le DVD de Monuments men bien entendu :

LIVRES

  • BOUCHOUX (Corinne), Rose Valland. La Résistance au musée, La Crèche, Geste éditions, 2006 (Il en existe une version en langue anglaise : Rose Valland, resistance at the museum)
  • BUNKER (Patrick), Monuments Men, Rose Valland, 2014
  • CERISIER (Emmanuel) et POLACK (Emmanuelle), Rose Valland, l'espionne du Jeu de Paume, Paris, Dupuis, 2009 (bande dessinée)
  • DESTREMEAU (Frédéric), Rose Valland, résistance pour l'art, Grenoble, musée de la Résistance et de la Déportation de l'Isère, 2008 (EPUISE)
  • EDSEL (Robert M.), Monuments Men, Paris, Folio, 2014
  • FELICIANO (Hector), Le Musée disparu, Paris, Folio, 2003
  • MULLER (Catel) et POLACK (Emmanuelle), Rose Valland, capitaine Beaux-Arts, Paris, Dupuis, 2009 (bande dessinée)








    DVD

  • Le Train, John Frankenheimer, MGM/United Artists, sortie du DVD 3 juin 2003
  • Monuments Men, George Clooney, 20th Century Fox, bientôt disponible en DVD

mercredi 19 mars 2014

FOCUS : L'INTERNATIONALE DES CANTINIERES (Mots-clés : cantinières)


Apparues aux côtés des armées en campagne dès la fin du XVIIIe siècle, les cantinières et autres vivandières se sont professionnalisées au fil des années et ont surtout trouvé une place visible et officielle dans les armées de Napoléon III. Ce monopole très français nous le garderons que peu de temps. En effet, la mode française qui touche les armées du monde entier durant la seconde moitié du XIXe siècle ne fait exception des cantinières.

C'est ainsi qu'elles s'invitent dans des guerres lointaines comme celle du Pacifique qui oppose la Bolivie, le Pérou et le Chili de 1879 à 1884. Les Amériques (Nord, Sud et centre) ne sont pas en reste. Pendant la guerre de Sécession (1861-1865), les milices, surtout de zouaves, du Nord comme du Sud, ont leurs contingents de cantinières qui donnent à leurs formations une allure plus encore française.
Bien après la guerre de Sécession, lors de la guerre hispano-américaine de 1898, plusieurs unités de volontaires se laisseront photographier avec l'une d'elles en tête. Plus au sud, au Mexique, la légion belge de l'armée de l'éphémère empire de Maximilien de Habsbourg, en eut un important contingent. Il faut dire que la Belgique, comme la Roumanie, l'Italie (duché de Parme, etc.), l'Espagne, entre autres lors des guerres carlistes, la Pologne, lors de l'insurrection de 1861-1864, ou encore certains états allemands, fit une place de choix aux cantinières, présentes dans la quasi totalité des forces terrestres. Les 1000 de Garibaldi eurent les leurs, mais les états pontificaux ne purent faire de même pour des raisons religieuses évidentes. Les dernières représentantes  en uniforme de la profession se rencontrent encore au début du 19e siècle dans les rangs espagnols, lors de la campagne du Maroc, et, enfin, dans quelques unités de volontaires d'Amérique du Nord.

Pour finir, notons que les plus exotiques des cantinières françaises furent celle d'une milice kanake, dont l'uniforme comprenait un pagne et une calebasse en guise de tonnelet, et de rares petites cantinières de bataillons scolaires à la fin du XIXe siècle.

Frédéric PINEAU

Pour en savoir plus :

mardi 18 mars 2014

Focus : France 1900, quelle place pour la femme militaire ? (Mots-clés : amazones, guerrières, Dahomey)


Dans le passionnant ouvrage, paru en 1905, du docteur Legrand, médecin-major au 3e régiment de dragons, L'Assistance féminine en temps de guerre, nous pouvons lire avec stupéfaction "le courage physique, l'audace qui mènent à la lutte ne sont pas l'apanage exclusif du sexe fort ; l'aptitude belliqueuse de la femmes s'est révélée en maintes occasions, par sa participation directe au combat ; elle se manifeste à l'état rudimentaire, dans la parodie guerrière du crêpage du chignon et peut s'épanouir, en tout son éclat, en poussant les initiatives féminines aux héroïques entreprises." Si de nos jours pareils propos peuvent nous paraitre banals, il n'en est rien pour l'époque. Des termes qui montrent une large ouverture et une réelle liberté de ton pour un militaire d'autant plus de la cavalerie, arme ô combien traditionnelle. Cependant Legrand affirme, par l'exemple, que la "participation habituelle des femmes aux actes mêmes de la bataille parait toutefois être demeurée spécifique aux peuples dans l'enfance", ce que l'auteur qualifie de "période héroïque du féminisme militaire", que Jeanne d'Arc, Jeanne Hachette, les femmes soldats de la révolution et les quelques combattantes de la guerre de 1870-1871 viendront clore. En effet, l'auteur a raison, ces épopées féminines "ne cadrent plus avec le sort réservé à la femme dans les sociétés constituées", occidentales et bourgeoises du 19e siècle, à mesure que s'élèvent la pression des idées morales et religieuses.

Coll. Pineau


En ce début du 20e siècle "l'assistance féminine en temps de guerre" est donc à définir, d'autant plus que les sociétés de la Croix-Rouge française se développent et que les cantinières connaissent leurs derniers jours. Des femmes armées ? Impensable. C'est, bien entendu, la délicatesse et l'altruisme qui intéressent chez la femme : "la femmes est entraînée vers les oeuvres d'assistance aux blessés militaires par sa nature éprise d'enthousiasme et de dévouement. Aller vers la souffrance dans le décor des fins de bataille, dispenser la douceur après la violence des luttes : c'est réaliser les rêves de son imagination et les aspirations de sa charité." Les velléités guerrières de la femme moderne ont donc aux yeux de Legrand une dimension imaginaire dans l'esprit de ces dernières à laquelle il faut répondre par l'obtention d'un rôle charitable. Car, "en effet, l'organisme féminin n'est pas adapté par la nature aux secousses rudes et continues des luttes violentes". C'est donc en s'appuyant sur des notions biologiques, physiques, que Legrand met un terme à toute possibilité d'une participation combattante des femmes en temps de guerre. Nous sommes donc loin du choix des rois du Dahomey qui firent des femmes, les Agolledjes, le corps d'élite de leur armée. Dotées d'uniformes, armées de fusils, de machettes ou de casse-tête, enrégimentées, ces dernières combattent d'ailleurs nos troupes coloniales lors des campagnes du Dahomey de 1890 puis de 1892 à 1894, affrontant même les hommes de la Légion dans de violents corps à corps. "Leur vigueur, leur agilité et leur bravoure étonnèrent" les militaires qui se trouvèrent face à elles.

Coll. Pineau
Coll. Pineau



La femme combattante en France est donc un fait impensable, considéré comme une farce de mauvais gout à la limite de l'érotisme voire de la pornographie. La presse comme la carte postale n'y voient qu'un travestissement qui portera atteinte aux bonnes moeurs. La guerrière a donc sa place dans la légende antique (Walkyries, Amazones, déesses, etc.). Il est toujours plus facile de magnifier le passé que de répondre au présent... Terminons par ces quelques lignes empruntées au colonel Romain dans Les Guerrières, paru en 1931 : "C'est dans l'imaginaire qu'est l'enthousiasme, c'est dans le coeur qu'est le dévouement. Les femmes sont donc plus naturellement héroïques que les héros. Et, quand cet héroïsme doit aller jusqu'au merveilleux, c'est d'une femme qu'il faut attendre le miracle. Les hommes s'arrêteraient à la vertu." Des propos à méditer ?

Frédéric Pineau