Cette nouvelle rubrique
donne la parole à un auteur, un historien... Pour l'inaugurer, nous
donnons la parole à l'historienne Chantal Antier pour son livre
Louise de Bettignies paru chez Tallandier. Notre prochaine invitée
sera Marie-José Chavenon pour son livre Inès Lyautey paru aux
éditions Gérard Louis et dont nous ferrons une recension dans un
futur post.
1/ Pourquoi ce choix de Louise de Bettignies et pas une autre héroïne ?
Après avoir vu un film
sur Louise de Bettignies pendant la seconde guerre, et très frappée
par son destin, j’ai décidé plus tard de
m’intéresser en tant qu’historienne de la Grande Guerre à ces
femmes dont on a peu parlé en dehors des films sur Mata-Hari la
« fausse espionne ».
2/ Qui était-elle ?
Louise de Bettignies est
le huitième enfant d’une famille lilloise d’origine belge dont
le père dirige une usine de faïence renommée à
Saint-Amand-Les-Eaux en association avec un frère et un beau-frère.
Elevée dans un pensionnat religieux selon la tradition des familles
catholiques du Nord, elle montre rapidement sa personnalité
originale, indépendante mais profondément pieuse. Envoyée par son
père en Angleterre, pour y poursuivre ses études, elle apprécie
la liberté offerte et les débuts du féminisme. La mort de son père
la pousse à trouver du travail comme préceptrice en France et en
Europe jusqu’à la veille de la Grande Guerre. A son retour se
déchaîne la guerre de 1914 où dès octobre sa ville est envahie
par les Allemands, après la Belgique déjà occupée. Elle envisage
très vite de résister soit en nourrissant les combattants
français près de chez elle, soit en acceptant de transporter plus
de 600 messages de Lillois à leurs parents réfugiés en France lors
de son voyage pour retrouver sa famille. Elle est sollicitée en
passant à Folkestone en Angleterre pour travailler avec les
services secrets britanniques puis en France par les services secrets
français. Elle accepte de créer le réseau Ramble à Lille pour les
Britanniques et prend le nom d’Alice Dubois. La dureté de son
combat la pousse à trouver une amie chaleureuse, prête à partager
ses angoisses et ses distributions de messages : Léonie
Vanhoutte devenue Charlotte Lameron. Toujours ardente, sans peur
devant les pires difficultés, elle traverse avec son amie au péril
de sa vie la Belgique occupée. Elles sont arrêtées en septembre
1915 l’une après l’autre sans que la police allemande ne fasse
le rapport entre elles. Elles se retrouvent dans la prison de Saint
Gilles à Bruxelles où par une ruse de la police, leur travail
commun est découvert. Le 16 mars 1916, Louise est d’abord
condamnée à mort puis au bagne à perpétuité et Léonie à 15 ans
de prison. Très maltraitée au bagne de Siegburg, considérée
comme rebelle, car elle veut faire appliquer les Conventions de
Genève, elle garde malgré tout espoir de sortir grâce aux
démarches de sa famille, de ses amis et de ses prières. Très
malade après deux jours au cachot, une opération faite en prison,
elle est enfin emmenée à l’hôpital de Cologne où elle garde
encore espoir d’être envoyée en Suisse. Elle meurt le 18
septembre 1918. Ce courage, cette droiture et cette liberté d’agir
et de penser l’ont parfois fait juger comme exaltée à une époque
de guerre où pourtant des femmes se sont révélées aussi
courageuses que les soldats.
3/ Espionne ou résistante
?
De résistante Louise est
passée agent secret, le rôle est différent quoiqu’aussi
périlleux et courageux. Parlant plusieurs langues, dirigeant un
groupe d’espions, parfois arrêtés et à remplacer, transportant
des messages, parfois du matériel radio ou des pigeons voyageurs,
elle doit suivre les consignes de ses chefs britanniques et même
aller parfois jusqu’à Londres prendre les consignes.
4/ Un mot sur le réseau
Ramble
Le réseau Ramble est un
des rares dirigés de l’extérieur, par les services secrets
britanniques au contraire de plusieurs essentiellement belges et
dirigés par une femme. Un bureau se trouve à Flessingue, Pays-Bas,
le Foreign Office dirige des bureaux en Angleterre à Folkestone ou à
Londres. Très rapidement, Louise réunit quarante personnes grâce
à une équipe de résistants déjà spécialisés dans le passage de
soldats ou de jeune gens de Belgique aux Pays-Bas pour continuer le
combat contre les Allemands.
Les secteurs d’espionnage
sont confiés à des hommes et des femmes de ce groupe qui recrutent,
surveillent et réunissent les messages à jour fixe dans des lieux
passagers (bars, commerces) Louise lit ces informations et les
condense, Léonie est chargée de les mettre sur papier japon avant
leur transfert dans des cachettes sous les déguisements.
Au moment de
l’arrestation de Léonie, quatre-vingts personnes travaillent soit
régulièrement soit temporairement pour ce réseau.
(Depuis mon livre
plusieurs personnes m’ont écrit pour me dire que leur grand-mère
ou arrière-grand-mère avait travaillé avec ce réseau et m’ont
envoyé des preuves)
5/ Peut-on comparer la
résistance de la Grande Guerre à celle de la seconde guerre
mondiale ?
Je ne pense pas que la
résistance en 1940-1945 ait été la même qu’en 1914. Il y a eu
une organisation de la Résistance en France, parce qu’elle a été
entièrement occupée, même si l’aide de l’Angleterre a été
importante. Différents groupes ou partis avant l’arrivée de Jean
Moulin existent : militaires démobilisés ou mis à la
retraite anticipée, parti communiste : FTP, FFI, jeunes contre
le STO etc. Peu de femmes ont dirigé un réseau mais les peines ont
été parfois aussi violentes, camps de déportées, déjà commencés
en 1915 en Allemagne mais moins organisés comme en 1940-1945.
6/ Quels apports nouveaux
les archives de la famille de Louise de Bettignies ont apporté à la
réalisation du livre ?
Les archives et photos
familiales surtout les lettres
écrites en prison, les contacts avec des descendants, m’ont
permis de sortir de l’image présentée par les livres écrits sur
Louise surtout par ses proches. Je pense avoir appréhendé la
personnalité réelle de cette femme que la famille si elle l’a
considérée comme une héroïne n’a pas voulu que son nom reste
attaché à l’idée d’espionnage. J’ai tenté de comprendre
aussi sa haine des Allemands, même avant la guerre, sans doute parce
qu’elle avait été élevée dans les souvenirs de la guerre de
1870 dans le Nord.
Les livres antérieurs
écrits entre 1919 et 1938, témoignages d’espionnes ou de
résistantes, également les archives de Bruxelles avec les lettres
de femmes du réseau Ramble recueillies en 1920 sont intéressants,
car ils montrent aussi comment à cette époque où on pense surtout
aux années folles le drame de nombreuses femmes dévouées à leur
patrie a existé.
7/ Sur quelle autre
héroïne de la Grande Guerre souhaiteriez-vous écrire ?
Pour le moment je ne
pense pas à écrire un autre livre même si la biographie de
certaines femmes m’intéressent.
8/ Selon vous, l'histoire
des femmes, au cours des deux conflits mondiaux, a-t-elle trouvé son
public en France ?
Je me réjouis de savoir
qu’un livre d’histoire écrit par de nombreuses historiennes
commence à être utilisé dans les programmes scolaires. Françoise
Thébaud, la première à écrire sur les femmes en 1914 a ouvert une
voie qui m’a encouragée, son livre sera prochainement réédité.
(Ndb : Françoise Thébaud, La Femme au temps de la guerre de 14,
Paris, Stock, 1986)
Merci à Chantal Antier d'avoir répondu à nos questions.
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