Les actions du mouvement péruvien dit du Sentier lumineux et celles du Mouvement révolutionnaire de Tupac Amaru (MRTA) ont bien souvent fait l’actualité des années 1980 à l’an 2000. Au MRTA, fondé en 1982, on doit en particulier la prise d’otages à l’ambassade japonaise de Lima où 500 personnes furent retenues, les dernières étant libérées quasiment deux mois après leur incarcération. Lors de l’assaut final, tous les membres du commando du MRTA ont trouvé la mort, y compris ceux qui se rendaient.
L’autre mouvement politico-militaire étudié est donc le Parti communiste péruvien Sentier lumineux (PCPSL) qui est d’inspiration maoïste et guevariste et descendant du Parti communiste péruvien (PCP). Il entre en lutte armée en 1980. La majorité de ses membres abandonnera la lutte armée qu’au milieu des années 1990. Repliés dans une partie de la jungle péruvienne, au sud-est du pays, un petit nombre d'entre-eux continue toutefois la « lutte armée ». Ainsi, en juin 2018 quatre policiers sont tués dans une embuscade, tandis qu'une autre attaque, non loin de Lima, cause six blessés parmi les membres d' un comité d’auto-défense.
Camille Boutron s’intéresse également aux femmes actives dans le contre-terrorisme. Dans la mesure où les autorités péruviennes ne veulent pas mettre en avant les succès remportés contre la guérilla par des femmes. De fait, l'auteur a une bien des difficultés à retrouver ces dernières afin d’en évaluer le nombre.
L’auteur réfléchit sur l’intensité de la violence exercée par ces femmes (MRTA et PCPSL), qui ne répugnent pas à exécuter des civils, et les conséquences sociétales de leur engagement armé.
Pour mieux comprendre les motivations qui ont poussé ces militantes politiques à entrer dans la « lutte armée », Camille Boutron est allée interviewer des militantes du MRTA et du PCPSL dans les prisons où elles sont incarcérées. Pour cette raison, la condition carcérale des femmes en prison est méticuleusement étudiée dans toutes ses dimensions (familiales et amoureuses comprises) ; certaines poursuivent un engagement militant derrière les barreaux, mais de façons diverses, entre autre en se battant pour l’amélioration de leurs conditions de détention, mais aussi celle des femmes de droit commun.
Ces militantes trouvent que les Péruviennes sont doublement exploitées en tant que travailleuses et en tant que membres du sexe dit faible. Si ces deux mouvements ont pris largement en compte les revendications féministes par contre ils n’ont pas toléré que des combats pacifiques féministes se développent en dehors de leurs initiatives allant jusqu’à assassiner certaines des femmes qui menaient ces luttes.
Les femmes sendéristes ont été considérablement mises en avant par leur mouvement, à l'exemple d'Augusta de la Torre, du PCPSL, peut-être assassinée par une rivale. Dès lors, une légende révolutionnaire dorée se construit autour de sa personne (page 140). La mémoire entretenue autour de ces combattantes révolutionnaires est largement relayée par la presse locale qui d'ailleurs joue tant sur le registre de la fascination que de la répulsion.
Notons enfin que l’image de propagande utilisée pour la couverture du livre provient de l'un des rares musées du terrorisme situé au Pérou.
BOUTRON (Camille), Femmes en armes: Itinéraires de combattantes au Pérou, 1980-2010, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2019, 221 p.
Alain CHIRON
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samedi 13 avril 2019
lundi 1 avril 2019
LIVRE : MADELEINE PAULIAC, L'INSOUMISE de Philippe Maynial (Mots-clés : Croix-Rouge, AFAT, rapatriement, conductrices, déportés, prisonniers, viol, médecin, Pologne, Russie)
Dans les premières pages de Madeleine
Pauliac, l'insoumise nous pouvons lire « Madeleine
sera pour les femmes de l'Escadron bleu un phare dans la nuit, une
figure tutélaire, une amie précieuse (...) » elle
« avait peut-être, en plus, une aura qui poussait
chacun à la suivre, à lui faire confiance, à se reposer sur
elle. »
Qu'était l'escadron bleu ? Une
formation automobile de la Croix-Rouge française formée de
conductrices ambulancières, vêtues d'un seyant uniforme gris-bleu
aux insignes bleu de ciel et à la roue dentée en cannetille
argentée, et d'infirmières. A 32 ans, Madeleine Pauliac (1912-1946)
était médecin-lieutenant AFAT (Auxiliaires féminines de l'armée
de terre), c'est à dire qu'à la différence des autres personnels
de l'escadron elle avait le statut de militaire. Elle signa son engagement
dans l'armée de terre le 30 novembre 1944.
La mission qui s'offre aux jeunes femmes de l'escadron est dantesque, faire revenir le plus possible de prisonniers, déportés et déplacés français en France avant que le rideau ne tombe sur les territoires sous contrôle russe.
La mission qui s'offre aux jeunes femmes de l'escadron est dantesque, faire revenir le plus possible de prisonniers, déportés et déplacés français en France avant que le rideau ne tombe sur les territoires sous contrôle russe.
« Toutes ces femmes sont
jeunes, entre vingt-deux et vingt-neuf ans (…) à la fois féminines
et décidées, souriantes et solides ». Comme le précise
avec justesse Philippe Maynial, le neveu de Madeleine, « c'est
le début d'une incroyable fraternité » dont témoignent
les échanges épistolaires entre Madeleine et les conductrices de
l'escadron bleu, mais « c'est aussi le début d'une épopée
héroïque pour ces femmes, et Madeleine Pauliac la première, qui
vont affronter un territoire des plus hostiles (Allemagne,
Pologne, Russie), contrôlé par une armée violente
(soviétique)
et sûre de son bon droit, celui de piller, de tuer, de violer, de se
« payer », en fait, des années de guerre et de
privation. »
Au travers de Madeleine Pauliac c'est le destin et l'histoire des filles de l'escadron qui transpire « compatriotes
perdus dans une tourmente indescriptible », celle du chaos
de la fin de la guerre, de millions d'hommes, de femmes et d'enfants
« libres » mais perdus, déboussolés, hagards, malades,
mourants, traumatisés par de longues, d'interminables années de souffrance et de
privations.
Et cela semble ne pas suffire. A la
barbarie nazie c'est substituée celle des communistes. « Quand
ils ont fini de violer, les Russes pillent et détruisent tout. »
Ainsi Madeleine relate dans un rapport à l'intention de Roger
Garreau (délégué du gouvernement provisoire en URSS de 1942 à
1945) le fait suivant : « Le lendemain de mon arrivée, une
délégation de cinq bonnes soeurs catholiques allemandes travaillant
à la Croix-Rouge est venue me trouver. Elles étaient vingt-cinq,
quinze sont mortes, violées et tuées par les Russes. Cinq d'entre
elles sont enceintes ; elles venaient me demander conseil et me
parler avortement en termes voilés. » Cette terrible
histoire n'est pas unique dans le livre et un autre fait, tout aussi douloureux, touchant
cette fois des religieuses polonaises, a
inspiré le film Les Innocentes d'Anne Fontaine, sorti
en salle le 10 février 2016, qui
relate le travail de Madeleine et de l'escadron au travers de ce fait
tragique (voir la bande annonce).
Les filles menèrent leurs missions en
Pologne et en Russie jusqu'au bout malgré l'insoutenable tableau de
misère que fut la libération des camps. Le choc fut moral et brutal. Simone
Saint-Olive - Sainto -, l'une des « bleues » notera
« serons-nous marquées à vie ?... c'est possible. »
Les proches de Cécile Stiffler, autre « bleue »,
« raconteront plus tard, bien des années après la fin de
la guerre, (…) à quel point elle a changé pendant ces mois
de missions éprouvantes. Elle qui était toujours pleine de joie et
souriante est revenue triste et réservée. »
La mort brutale et prématurée de
Madeleine Pauliac ne marquera pas la fin d'une histoire, car une
fraternité d'âme a perduré jusqu'à nos jours entre les « bleues »
et leurs descendants.
Paru pour la première fois en 2017
chez XO, Madeleine Pauliac, l'insoumise est réédité chez
Tallandier en poche. La plume souple et agréable de Philippe Maynial
en fait un livre précieux, un témoignage pour l'histoire qui met un
peu plus en lumière le travail héroïque de ces femmes modestes
dans un contexte d'une violence inouïe.
MAYNIAL (Philippe), Madeleine
Pauliac l'insoumise, Paris, Texto, Tallandier, 9,5 €
A lire ou à voir également sur
l'escadron bleu :
MENAGER (Dominique), L'Escadron
bleu, mai 1945-juillet 1945, Tours, éditions Le Roseau, 2003
FONTAINE (Anne), Les Innocentes (film),
2016, DVD et Blue-ray,
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